R c Stinchcombe est une décision de la Cour suprême du Canada en droit pénal.

 

FAITS

L’appelant, un avocat de Calgary, a été accusé d’abus de confiance, de vol et de fraude à l’égard d’un client nommé Jack Abrams. Selon le ministère public, Me Stinchcombe se serait illégalement approprié des instruments financiers et des biens qu’il détenait en fiducie pour ce dernier. Me Stinchcombe soutient toutefois qu’il était légalement autorisé à les utiliser puisqu’il agissait en tant qu’associé d’affaire de M. Abrams.

 

Au cours de l’enquête préliminaire, l’ancienne secrétaire de Me Stinchcombe, Patricia Lineham, a été appelée à la barre des témoins et a donné un témoignage oral à l’appui de la défense de Me Stinchcombe. Bien que ce témoignage n’ait pas été produit devant le juge, et donc, ne figure pas au dossier, il semble avoir été très favorable à la défense. Après l’enquête préliminaire, mais avant le procès, Mme Lineham a été interrogée par un agent de police et l’interrogatoire a été enregistré sur bande magnétique. Plus tard, pendant le procès, Mme Lineham a été interrogée de nouveau par un agent de police qui a recueilli une déclaration écrite. Dans les deux cas, l’avocat de la défense a été informé de l’existence des déclarations, mais non de leur contenu. De plus, ses demandes de divulgation ont été rejetées aux deux occasions. Ayant appris, lors du procès, que Mme Lineham ne serait pas citée à déposer pour la Couronne, l’avocat de la défense a présenté une requête afin d’obliger la poursuite à dévoiler le contenu de ces dépositions. Cette requête fut refusée par le juge de procès.

 

 

QUESTION EN LITIGE

Le juge de première instance a-t-il erré en refusant de dévoiler le contenu des dispositions ?

 

 

RATIO DECIDENDI

Le droit de présenter une défense pleine et entière, qui est consacré à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, est un principe de justice fondamentale primordial afin d’éviter la condamnation de personnes innocentes. En ne dévoilant pas toute la preuve étant susceptible d’intéresser l’accusé, la Couronne porte atteinte à ce principe.

Dans l’arrêt Boucher v. The Queen[1], le juge Rand affirme :

 

[TRADUCTION]  On ne saurait trop répéter que les poursuites criminelles n’ont pas pour but d’obtenir une condamnation, mais de présenter au jury ce que la Couronne considère comme une preuve digne de foi relativement à ce que l’on allègue être un crime.  Les avocats sont tenus de veiller à ce que tous les éléments de preuve légaux disponibles soient présentés: ils doivent le faire avec fermeté et en insistant sur la valeur légitime de cette preuve, mais ils doivent également le faire d’une façon juste.  Le rôle du poursuivant exclut toute notion de gain ou de perte de cause; il s’acquitte d’un devoir public, et dans la vie civile, aucun autre rôle ne comporte une plus grande responsabilité personnelle.

 

En revanche, alors que les fruits de l’enquête sont la propriété du public et doivent être utilisés de manière à assurer que justice soit rendue, la défense n’est pas tenue d’aider la poursuite et peut recourir à l’effet de surprise lors du procès.

 

Quant à savoir ce qu’il convient de divulguer, le principe général exige la divulgation de tous les renseignements pertinents. La poursuite devra obligatoirement divulguer non seulement les renseignements que le ministère public entend produire en preuve, mais aussi ceux qu’il n’a pas l’intention de produire. Ainsi, le ministère public a l’obligation en common law de divulguer à la défense tous les éléments de preuve substantielle, qu’ils soient favorables ou non à l’accusé. Cela inclut toute déclaration obtenue de personnes qui ont fourni des renseignements pertinents aux autorités, même si le ministère public n’a pas l’intention de citer ces personnes comme témoins à charge.

 

En ce qui concerne le moment de la divulgation, la communication initiale de la preuve devrait avoir lieu avant que l’accusé ne soit appelé à choisir son mode de procès où à présenter son plaidoyer. Dans les cas où le dossier de la poursuite n’est pas complet à ce moment, l’obligation permanente de divulgation oblige le procureur à communiquer la preuve dès la réception de renseignements complémentaires.

 

Néanmoins, il convient de souligner que l’obligation de divulgation n’est pas absolue et qu’elle est assujettie au pouvoir discrétionnaire du procureur général. Ce dernier, n’étant pas tenu de produire ce qui n’a manifestement aucune pertinence, pourra exercer sa discrétion afin de répartir la preuve pertinente de la preuve superfétatoire. En leur qualité d’officiers de justice, ce pouvoir discrétionnaire mérite une certaine déférence de la part de l’appareil judiciaire. Dans tous les cas, ce pouvoir peut faire l’objet d’un contrôle de la part du juge du procès et l’avocat de la défense a la possibilité d’exiger un tel contrôle dès qu’il prend connaissance d’une omission du ministère public. Advenant une telle intervention, le fardeau reviendra au ministère public de justifier son refus de divulguer les renseignements en question.

 

 

ANALYSE

En l’espèce, comme les renseignements qui se trouvaient en possession de la Couronne auraient pu influer sur l’issue du procès, l’omission de divulguer a porté atteinte au droit de l’accusé de présenter une défense pleine et entière. Il doit en conséquence y avoir un nouveau procès au cours duquel les déclarations en cause devront être produites.

 

 

DISPOSITIF

Dans une décision unanime, la Cour suprême a statué que la Couronne a, en omettant de divulguer les renseignements pertinents, violé le droit de Me Stinchcombe de présenter une défense pleine et entière. Pour cette raison, la Cour annule la décision de la Cour d’appel de l’Alberta et statue que la Couronne aura l’obligation de divulguer le contenu de la bande magnétique et de la déclaration écrite à la défense lors de la tenue d’un nouveau procès.

 

 

Pour plus de renseignements sur les droits constitutionnels, cliquez ici : Charte canadienne des droits et libertés (Charterpedia).

 


[1] Boucher v The Queen, [1955] SCR 16.