Cette ressource est un résumé de la décision R c Ahmad, 2020 CSC 11 de la Cour suprême du Canada en droit criminel.

 

FAITS

Les accusés, M. Ahmad et M. Williams, ont été accusés de trafic de drogue à la suite d’une intervention menée par deux agents d’infiltration. Les agents avaient préalablement reçu une information, dont la fiabilité est inconnue, affirmant que les numéros de téléphone des deux accusés seraient associés au trafic de drogues. À la suite de la réception de cette information, les agents ont contacté les accusés et ont prétendu vouloir acheter de la drogue.

Ahmad et M. Williams revendiquent maintenant, chacun pour leur dossier respectif, un arrêt des procédures pour cause de provocation policière.

 

QUESTIONS EN LITIGE

La Cour répond à quatre questions :

  1. Un numéro de téléphone — un endroit virtuel — peut-il être considéré comme un lieu aux fins de l’analyse de la provocation policière?
  2. Quelles situations peuvent donner lieu à des soupçons raisonnables dans le contexte de la vente de drogue sur appel?
  3. De quelle façon les tribunaux devraient-ils examiner la conversation entre un policier et l’accusé pour décider si des soupçons raisonnables ont été établis et à quel moment l’occasion de commettre une infraction a été offerte?
  4. Qu’est-ce qui constitue une occasion de faire le trafic de drogue pendant un appel téléphonique?

 

RATIO DECIDENDI

Un test en deux volets, établi dans l’arrêt Mack, permet d’évaluer une situation où l’on soupçonne une provocation policière. L’extrait suivant le définit clairement :

« Il y a, par conséquent, provocation policière lorsque : a) les autorités fournissent l’occasion de commettre une infraction en l’absence de soupçon raisonnable ou agissent de mauvaise foi [. . .] ou b) ayant des soupçons raisonnables ou au cours d’une véritable enquête, elles ne se contentent pas de fournir une occasion de commettre une infraction, mais incitent à la commettre. » (p. 959)

Selon le même arrêt, les soupçons raisonnables dont il est fait mention dans le premier volet doivent être élaborés à l’égard : (1) d’une personne en particulier qui prend part à une activité criminelle; ou (2) des personnes qui se livrent à des activités criminelles dans un lieu précis, ce que l’on appelle parfois une           « véritable enquête » (Mack, p. 956 et 959; confirmé dans R. c. Barnes, [1991] 1 R.C.S. 449, p. 463).

 

ANALYSE

Les parties s’entendent pour conclure qu’un numéro de téléphone peut constituer un « lieu » dans le cadre d’une provocation policière. Tout comme pour un espace physique, mais peut-être particulièrement pour espace virtuel, l’espace ciblé par la police doit être suffisamment précis. Effectivement, dans le cas d’un espace virtuel, une personne peut raisonnablement s’attendre au respect de sa vie privée lors de ses échanges personnels. De plus, le risque de cibler une personne autre que celle habituellement associée à cet espace virtuel augmente vu la nature de l’approche.

 

Bien que la Cour accepte qu’un numéro de téléphone représente un espace virtuel suffisamment précis, elle réitère l’incertitude de la qualité de l’information reçue par les policiers. De ce fait, elle précise qu’il est impossible de conclure que les agents possédaient des soupçons raisonnables avant les appels téléphoniques. Donc, il leur était nécessaire d’analyser lesdits appels pour confirmer que des soupçons raisonnables existaient avant que les agents n’offrent une occasion de commettre un crime à leur cible. Une simple vérification de la source des informations, qui confirmerait que cette dernière est fiable, aurait été suffisante pour éviter l’analyse scrupuleuse des appels (par.50). Dans cet ordre d’idée, de simples intuitions et pressentiments ne suffisent pas (Barnes, p.460, citée au par.47). Les soupçons doivent être bien délimités, précis, raisonnables et fondés sur des « faits objectifs qui résistent à un examen indépendant » (MacKenzie, par.74, cité au par.46).

 

Puisque les soupçons raisonnables doivent exister avant que la police ne donne une occasion de commettre un crime, la norme ne peut prendre forme rétroactivement; elle doit être appliquée prospectivement. De surcroît, la norme des soupçons raisonnables est moins exigeante que celle des motifs raisonnables, en ce qu’elle ne requiert qu’une possibilité raisonnable, et non une probabilité.

 

Ensuite, dans un contexte de trafic de drogue, les juges majoritaires réitèrent les motifs relatifs à l’arrêt des procédures dans la décision Williams : une occasion de commettre une infraction est offerte lorsque le policier pose une question à l’accusé et que celui-ci peut commettre une infraction simplement en y répondant « oui » (par.64). Il s’agit donc de se rapprocher suffisamment d’une conduite qui satisferait aux éléments de l’infraction provoquée.

 

Dans le cas de M. Ahmad, la police n’avait qu’un numéro de téléphone associé avec l’information qu’un prénommé « Roméo » vendait de la drogue par cette entremise. Lors de l’appel, des soupçons raisonnables ont été créés lorsque l’interlocuteur n’a pas nié être Roméo, et a répondu « T’as besoin de quoi? » à l’agent, donc un inconnu, qui lui demande s’il peut l’aider (par.76). C’est donc après que des soupçons raisonnables ont fait surface que l’agent a donné l’opportunité à M. Ahmad de commettre en un crime en lui demandant « 2 de coupé », ce qui signifie deux grammes de cocaïne (par.75).

 

Pour M. Williams, préalablement à l’appel, les agents ont recueilli de l’information le liant au prénom « Jay » et à un numéro de téléphone qui serait utilisé pour vendre de la drogue. M. Williams avait déjà été arrêté pour trafic de drogue dans le passé. Lors de l’appel, l’agent infiltré a demandé s’il parlait bien avec « Jay » et lorsqu’il a reçu une réponse positive de l’interlocuteur, il lui a demandé de lui vendre l’équivalent de 80 $ de cocaïne. M. Williams n’avait jusqu’alors rien mentionné en lien avec un éventuel trafic de sa part. La Cour a donc établi que l’opportunité de commettre un crime a précédé les soupçons raisonnables.

 

Puisque les agents ne possédaient pas de soupçons raisonnables à l’égard de M. Ahmad et M. Williams, à cause de l’incertitude de la qualité des informations reçues, ils étaient tenus de recueillir ces soupçons pendant l’appel téléphonique, avant de donner une opportunité aux accusés de commettre un crime. Les deux cas sont extrêmement limites, mais la Cour a établi que seul M. Williams a bel et bien été victime de provocation policière.

 

DISPOSITIF

Le pourvoi de M. Ahmad est rejeté. Le pourvoi de M. Williams est accueilli. Les déclarations de culpabilité prononcées contre M. Williams par la Cour d’appel sont annulées et l’arrêt des procédures ordonné par le juge Trotter est rétabli.


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