« Comment osez-vous ? » : la crise climatique requalifiée de crise relevant du droit de l’enfant, selon Greta Thunberg

« Comment osez-vous ? » : la crise climatique requalifiée de crise relevant du droit de l’enfant, selon Greta Thunberg

C’était du jamais vu. Des millions de jeunes au pays ont envahi les rues le vendredi 27 septembre dernier pour manifester contre l’inaction du gouvernement face aux changements climatiques. 

Cette marche survient quelques jours après que Greta Thunberg et quinze autres jeunes activistes ont annoncé aux Nations Unies à New York avoir déposé une plainte contre la France, l’Allemagne, l’Argentine et la Turquie en vertu de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant de 1989, qui établit un ensemble de droits inaliénables pour tous les enfants du monde, y compris la vie, la santé et la paix. La Convention comprend le Protocole facultatif, un mécanisme volontaire permettant aux enfants ou aux adultes, en leur nom, de faire appel directement à l’Organisation des Nations Unies pour obtenir de l’aide advenant qu’un pays ayant ratifié le Protocole ne fournit pas un recours en cas de violation de ces droits[1]. 

  

Une plainte différente des autres 

Pendant longtemps, les litiges relatifs aux changements climatiques se limitaient aux poursuites en droit privé où l’on invoquait des causes d’action de common law, telles que la nuisance, la négligence et l’atteinte aux droits d’autrui, contre des particuliers et les grandes sociétés pollueuses. Par exemple, plusieurs villes aux États-Unis ont tenté ce genre de poursuites, mais plusieurs d’entre elles ont été rejetées, car les tribunaux considèrent les changements climatiques comme un enjeu politique et non comme un enjeu justiciable[2]. La ville de Victoria est la première municipalité à tenter ce genre de poursuite au Canada contre des producteurs gaziers et pétroliers pour dommages liés aux changements climatiques[3]. 

À l’inverse, la plainte déposée par Thunberg vise l’inaction des gouvernements et non les sociétés qui polluent. Dans cette plainte, elle allègue que l’incapacité des États membres d’aborder la crise climatique constitue une violation des droits de l’enfant. Plus précisément, elle soutient que les cinq pays nommés ont sciemment contribué à la crise climatique et qu’ils n’atteindront pas leurs objectifs en matière d’émissions en vertu de l’accord de Paris sur le climat de 2015. D’ailleurs, elle fait valoir qu’au moment où les pays ont présenté ces objectifs, il était clair que leurs émissions mettaient déjà en danger la vie des enfants[4]. 

  

Le Canada sous la loupe 

N’étant pas visé par la plainte à l’ONU, le Canada est quand même loin d’être l’exemple à suivre. En fait d’émissions de gaz à effet de serre par habitant, le Canada se retrouve assez haut dans la liste des grands émetteurs[5]. Ainsi, les litiges relatifs aux changements climatiques ont surgi au Canada même avant le dépôt de la plainte de Thunberg. 

ENvironnement JEUnesse (ENJEU), un organisme à but non lucratif, a déposé à la Cour supérieure du Québec en novembre 2018 une demande d’autorisation d’exercer un recours collectif contre le gouvernement fédéral au nom de tous les Québécois de 35 ans et moins. 

L’organisme allègue que le gouvernement fédéral aurait violé plusieurs droits protégés par la Charte canadienne des droits et libertés (CCDL) et la Charte québécoise des droits et libertés de la personne (CQDL) en omettant de prendre les mesures adéquates pour prévenir les changements climatiques. Il invoque les droits suivants[6] : 

  • le droit à la vie et la sûreté de leur personne (article 7 de la CCDL et article 1 de la CQDL); 
  • le droit de vivre dans un environnement sain et respectueux de la biodiversité (article 46.1 de la CQDL); 
  • le droit à l’égalité, en imposant un fardeau trop lourd aux jeunes générations sous la forme de coûts futurs découlant des changements climatiques (article 15 de la CCDL et article 1 de la CQDL)[7]. 

  

Cependant, une telle approche n’est pas sans faiblesses. Avoir comme demandeurs des générations futures est problématique, car elles ne sont généralement pas considérées comme des individus identifiables en droit. Bien qu’il soit facile de saisir leur intérêt pour un environnement sain, le droit hésite à leur accorder une reconnaissance, car la plupart de ces individus ne sont pas encore nés et nous ne savons pas comment ou quand ils vont vivre les impacts des changements climatiques[8]. 

Justement, en juillet 2019, le juge Gary D.D. Morrison a refusé d’accorder à ENJEU le droit d’intenter un recours collectif, dans la mesure où une telle action nécessite l’identification d’un « groupe » légalement constitué de façon objective et non aléatoire, avec un fondement rationnel[9]. Ainsi, le « groupe » défini par ENJEU, étant constitué des Québécois et Québécoises âgés de moins de 35 ans ainsi que de leurs enfants à naître, était un choix arbitraire et subjectif sans explication rationnelle[10]. ENJEU compte porter cette décision en appel. 

  

À voir… 

Maintenant que la plainte de Thunberg a été officiellement déposée, il reste à voir comment le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies évaluera l’affaire. Selon le Protocole, le comité soumettra ses points de vue et ses recommandations à chaque pays désigné et ces derniers pourront y répondre. Bien que la décision finale ne soit pas contraignante en droit, il reste à voir si cette plainte apportera une contribution à la réflexion que soulèvent les litiges relatifs aux changements climatiques au Canada et ailleurs dans le monde. 

  

À NOTER : Cet article de blogue était originalement publié sur le site de Juriblogue.ca.  

Veuillez prendre note de la date de rédaction de cet article de blogue. Il est possible que certaines informations ne soient plus à jour. 

 

[1] Organisation des Nations Unies (UNICEF), communiqué, « 16 children, including Greta Thunberg, file landmark complaint to the United Nations Committee on the Rights of the Child » (24 septembre 2019), en ligne : < https://www.unicef.org/eap/press-releases/16-children-including-greta-thunberg-file-landmark-complaint-united-nations >. 

[2] Osler, Hoskin & Harcourt (M. Killoran, C. Feasby et M. Huys), « Les litiges relatifs aux changements climatiques arrivent au Canada » (5 février 2019), en ligne: Ressources < https://www.osler.com/fr/ressources/reglements/2019/les-litiges-relatifs-aux-changements-climatiques-arrivent-au-canada >. 

[3] Ibid. 

[4] A. Woodward et M. McFall-Johnson, « Greta and 15 other kids have filed a legal complaint against 5 countries, joining a group of young people brining the climate fight to court », Business Insider (25 septembre 2019), en ligne: < https://www.businessinsider.com/greta-thunberg-youth-file-legal-climate-complaint-unicef-2019-9 >. 

[5] Union of Concerned Scientists, « Each Country’s Share of CO2 Emissions », (11 octobre 2018), en ligne:  < https://www.ucsusa.org/global-warming/science-and-impacts/science/each-countrys-share-of-co2.html >. 

[6] Supra note 2. 

[7] Ibid. 

[8] Larissa Parker, « Make healthy climate a legal right that extends to future generations », The Economist (17 septembre 2019), en ligne : < https://www.economist.com/open-future/2019/09/17/make-a-healthy-climate-a-legal-right-that-extends-to-future-generations?fbclid=IwAR3CYS27PaND-7Y56DoeCJbvFz-hCgweDcF4UdvPDyYfehLDhaCq74s9uLI >. 

[9] Environnement Jeunesse c. Procureur général du Canada, 2019 QCCS 2885, 308 A.C.W.S. (3d) 775 (« ENJEU, 2019 »), para 137. 

[10] ENJEU, 2019, aux paras 134 et 135.