Faire valoir ses droits mais à quel prix ? : Critique et recommandation de modification à la Loi canadienne des droits de la personne

Faire valoir ses droits mais à quel prix ? : Critique et recommandation de modification à la Loi canadienne des droits de la personne

Introduction 

La Loi canadienne sur les droits de la personne[1] (« Loi ») donne effet au principe du droit des individus à « l’égalité des chances d’épanouissement et à la prise de mesures visant à la satisfaction de leurs besoins, indépendamment des considérations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’identité ou l’expression de genre, l’état matrimonial, la situation de famille, les caractéristiques génétiques, la déficience ou l’état de personne graciée »[2]. 

  

Toutefois, la Loi et son interprétation par les tribunaux causent certaines problématiques importantes. Parmi celles-ci, le fait de compromettre l’accès à la justice ainsi que l’octroi de compensations insuffisantes pour les plaignants, face à la discrimination vécue. La solution proposée pour améliorer la Loi est simple et en est une qui fut mise en oeuvre par l’Ontario. Une révision de la Loi s’impose donc afin d’évaluer l’étendue des problématiques, en plus de mettre en œuvre des mesures pour assurer une égalité véritable des chances d’épanouissement à l’ensemble de la population canadienne, tel en est l’objet de cette loi. 

  

La problématique 

À l’heure actuelle, l’alinéa 53(2)e) et le paragraphe 53(3) de la Loi[3] limitent les pouvoirs du Tribunal des droits de la personne (« Tribunal ») en ce qui a trait à l’octroi de dommages-intérêts compensatoires pour les préjudices moraux. L’alinéa 53(2)e) de la Loi prévoit une limite de 20 000 $ à ces fins et le paragraphe 53(3) permet l’octroi d’une indemnité additionnelle de 20 000 $ dans des cas où l’acte discriminatoire a été délibéré ou inconsidéré. 

  

Cette loi a été interprétée par la Cour suprême du Canada de façon à interdire au Tribunal d’accorder une compensation pour les frais juridiques encourus aux demandeurs qui obtiennent un gain de cause[4]. Ces dispositions et l’interprétation qui en découle soulèvent des faiblesses sur plusieurs fronts. 

  

Dans de nombreux cas, les coûts juridiques entraînés pour se prévaloir devant le Tribunal excèdent le montant d’indemnisation reçu. Dans l’arrêt Mowat[5] la plaignante a obtenu 4 000 $ de compensation pour son préjudice moral, mais soutient avoir encouru plus de 196 000 $ de frais juridiques. Des compensations si faibles compromettent l’accès à la justice au Tribunal lorsqu’elles sont dépassées par les coûts et les risques du litige[6]. De plus, les plaignants n’obtiennent pas une compensation digne de la discrimination à laquelle ils ont fait face. Pour emprunter les mots du président et membre instructeur du Tribunal dans l’affaire Mowat [7], sans que les plaignants obtiennent le recouvrement des frais de justice, toute victoire en serait une « à la Pyrrhus »; soit une victoire remportée à un coût trop élevé pour avoir valu la peine. Le gouvernement devrait donc agir rapidement pour remédier à la situation. 

  

Solution proposée 

Afin d’améliorer ces faiblesses, une modification législative est nécessaire. En effet, l’abrogation de l’alinéa 53(2)e) de la Loi[8] qui prescrit le plafond de 20 000 $ et l’introduction simultanée d’un alinéa sans plafond serait la mesure la plus efficace pour remédier à la problématique. De plus, le nouvel alinéa devrait permettre l’octroi des frais juridiques lors du rendement d’une décision. La proposition de modification législative suivante est formulée de façon à remédier à ces deux problèmes simultanément. 

  

Article 53(2)f) d’indemniser la victime qui a souffert un préjudice moral en octroyant un montant qui prend compte des circonstances de l’acte, des coûts juridiques entrainés ainsi que de tout autre élément qu’il estime justifiés. 

  

Pour appuyer cette proposition, il est utile de regarder la situation en Ontario où des circonstances similaires furent observables. En effet, en 2008, le gouvernement de l’Ontario a effectué une réforme historique de son Code des droits de la personne[9] Code ») où il a supprimé le plafond de 10 000 $ qui existait concernant l’octroi des dommages-intérêts compensatoires pour les préjudices moraux. À la suite du retrait de cette disposition, plusieurs plaignants se sont vu octroyer des sommes beaucoup plus élevées, tel que 150 000 $ et 50 000 $ dans l’arrêt OPT v Presteve[10] et 75 000 $ dans l’arrêt GM[11]. 

  

À l’heure actuelle, l’article pertinent du Code est le paragraphe 45.2 qui aborde les ordonnances du Tribunal des droits de la personne de l’Ontario (« Tribunal de l’Ontario »)[12]. Elle permet au Tribunal de l’Ontario de rendre toute ordonnance qui semble appropriée, y compris une indemnisation pour les préjudices moraux[13]. Le paragraphe trois démontre la portée de cet article en énonçant que le Tribunal de l’Ontario peut rendre « [u]ne ordonnance enjoignant à toute partie à la requête de prendre les mesures qui, selon le Tribunal, s’imposent pour favoriser l’observation de la présente loi »[14]. Certains jugements précités, rendus depuis ce changement, nous confirment ainsi que l’article précédent était inadéquat. 

  

Considérations 

Plusieurs avantages peuvent ressortir d’une telle modification législative telle que favoriser l’accès à la justice et l’instauration d’un système qui compense les plaignants de façon plus adéquate. 

  

Premièrement, une telle modification favorise l’accès à la justice. En observant le changement en Ontario, Ranalli et Ryder notent que les demandeurs sont souvent des membres de groupes vulnérables et défavorisés, qui ont un besoin urgent de bénéficier des protections du Code[15]. De son côté, Andrew Pinto note dans son rapport sur la réforme en Ontario que « les plaignants seront dissuadés de poursuivre des demandes de droits de la personne qui valent la peine lorsqu’ils peuvent prévoir, dès le départ, que la poursuite de leur demande leur coûtera plus cher que ce qu’ils sont susceptibles de recevoir en compensation, même s’ils obtiennent gain de cause devant le Tribunal » (traduction libre). De plus, en Ontario il fut établi que le coût d’obtenir une réparation pour une violation des droits de la personne ne devrait pas constituer un obstacle à la protection universelle prévue par le Code[16]. En fonction des circonstances, la possibilité d’une compensation plus élevée sera un obstacle de moins pour les plaignants. 

  

Deuxièmement, le retrait de ce plafond mène à la réalisation d’un système où les plaignants sont indemnisés d’une manière qui correspond mieux à la discrimination qu’ils ont subie. En considérant la situation en Ontario, Pinto note que « le déni fondamental de la dignité occasionné par une infraction au Code et l’atteinte aux sentiments et à l’estime de soi qui s’ensuit exigent un dédommagement adéquat »[17]. Le rapport recommanda une augmentation considérable des dommages-intérêts accordés aux plaignants qui obtiennent gain de cause[18].  Cette recommandation devrait être adoptée au niveau fédéral afin que l’ensemble de la population canadienne puisse être indemnisé de façon plus appropriée. 

  

Conclusion 

Une brève analyse de la situation permet de conclure que l’abrogation de l’alinéa 53(2)e) et une modification législative pourraient améliorer les faiblesses de la Loi. Comme démontré en examinant la situation analogue en Ontario, des dommages-intérêts plus élevés ont pu être octroyés aux plaignants lorsque le plafond législatif fut éliminé. La modification proposée n’aura pas comme effet d’éliminer toutes les barrières auxquels les plaignants font face concernant l’accès à la justice ; il s’agit toutefois d’un pas dans la bonne direction. Il est important de se rappeler que « l’atteinte à la dignité n’est pas une perte accessoire à l’ensemble des préjudices causés par la discrimination – elle est plutôt au cœur de ce qui rend la discrimination néfaste » (traduction libre)[19]. Les dommages-intérêts compensatoires pour les préjudices moraux devraient donc refléter cette réalité. 

  

 

[1] LRC 1985, c H-6 [Loi]. 

[2]  Ibid, art 2. 

[3] Ibid. 

[4] Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c Canada (PG) 2011 CSC 53 [Canada]. 

[5] Mowat c Forces Armées Canadiennes, 2006 TCDP 49 [Mowat]. 

[6] Audra Ranalli et Bruce Ryder, «Undercompensating for Discrimination: An Empirical Study of General Damages Awards Issued by the Human Rights Tribunal of Ontario, 2000-2015 » (2017) Osgood Leg Studies Research Paper Series 1 à la p 35. 

[7] Mowat, supra note 5. 

[8] Loi, supra note 1. 

[9] Code des droits de la personne, LRO 1990, c H.19 [Code]. 

[10] 2015 HRTO 675. 

[11] 2018 HRTO 201. 

[12] Code, supra note 10 art 45.2. 

[13] Ministère du Procureur général, Rapport d’examen 2012 du système des droits de la personne de l’Ontario, 2012 à la p 71. 

[14] Code, supra note 10 art 45.2. 

[15] Ranalli, supra note 7 à la p 33. 

[16] Commission ontarienne des droits de la personne, Examen du système ontarien de protection des droits de la personne, 2005 à la p 29. 

[17] Ministère du Procureur général, supra note 14 à la p 70. 

[18] Ibid à la p 73. 

[19] Ranalli, supra note 7 à la p 31. 

 

À NOTER : Cet article de blogue était originalement publié sur le site de Juriblogue.ca.  

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