Le contrôle judiciaire des décisions administratives : de la censure des décisions incorrectes et /ou déraisonnables

Le contrôle judiciaire des décisions administratives : de la censure des décisions incorrectes et /ou déraisonnables

Reproduction du billet paru en janvier 2020 dans les Cahiers de l’Équipe droit européens et migrations de l’Université catholique de Louvain 

Le 19 décembre 2019, la Cour suprême du Canada a rendu un arrêt de principe dans trois affaires visant à clarifier la démarche utilisée par les tribunaux judiciaires lorsqu’ils révisent des décisions administratives et le degré de déférence dont ils doivent faire preuve à l’égard du décideur administratif (ce que l’on appelle la norme de contrôle). La cour a expliqué sa nouvelle approche dans l’affaire Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, qui a par la suite été appliquée dans le cadre de deux appels entendus ensemble dans l’affaire Bell Canada c. Canada (Procureur général). L’affaire Vasilov est très importante pour ce qui relève des nouveaux critères entourant le contrôle judiciaire des décisions administratives. Elle apporte également un éclairage utile -et bienvenu- concernant l’interprétation d’une disposition spécifique de la Loi sur la citoyenneté concernant les enfants nés au Canada de parents employés d’un gouvernement étranger, mettant ainsi fin à une longue bataille juridique. Dans les lignes qui suivent, ces deux aspects de l’affaire sont abordés. 

 

ARRÊT

Voici les faits tels que résumés par la Cour Suprême, aux paragraphes 147 à 151 : 

« M. Vavilov nait à Toronto [en] 1994 (…) Au moment de sa naissance, ses parents se font passer pour des Canadiens en utilisant des noms d’emprunt (…) En fait, [ils]sont des étrangers en mission (…) pour le service des renseignements étrangers de la Russie (…) Jusqu’à l’âge d’environ 16 ans, M. Vavilov ne sait pas que ses parents ne sont pas ceux qu’ils prétendent être. Il croit être citoyen canadien de naissance. Il vit et s’identifie comme un Canadien, et il détient un passeport canadien. Il apprend les deux langues officielles et est fier de ses origines. Il apprend la véritable identité de ses parents le 27 juin 2010, lorsqu’ils sont arrêtés aux États-Unis et accusés (avec plusieurs autres individus) de complot en vue d’agir en tant qu’agents non accrédités d’un gouvernement étranger (…) Ses parents plaident coupables et (…) sont renvoyés en Russie (…) En octobre 2010, M. Vavilov tente en vain de renouveler son passeport canadien (…) M. Vavilov présente une demande de certificat de citoyenneté canadienne en octobre 2012 et obtient ce certificat le 15 janvier 2013 (…). M. Vavilov (…) reçoit une lettre dite « d’équité procédurale » de la greffière de la citoyenneté canadienne datée du18 juillet 2013. Dans cette lettre, la greffière l’informe qu’il n’a jamais eu le droit d’obtenir un certificat de citoyenneté, que son certificat de citoyenneté lui a été délivré par erreur, et qu’il n’est pas un citoyen canadien suivant l’al.3(2)a) de la Loi sur la citoyenneté. La greffière invite M. Vavilov à présenter des observations en réponse à cette lettre, ce qu’il fait. Le 15 août 2014, la greffière annule officiellement le certificat de citoyenneté canadienne de M. Vavilov en application du par.26(3) du Règlement sur la citoyenneté ».

Vavilov demande et obtient l’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire de la décision de la greffière devant la Cour fédérale en vertu de l’art.22.1 de la Loi sur la citoyenneté. La Cour fédérale, en rendant sa décision[1], donne raison à la greffière. Toutefois, la Cour d’appel fédérale accueille à la majorité l’appel interjeté par M. Vavilov contre le jugement de la Cour fédérale et casse la décision de la greffière[2]. La Cour Suprême confirme le jugement de la Cour d’appel fédérale et conclut que M. Vavilov est un citoyen canadien.

La principale question soumise à la Cour Suprême était de savoir s’il était raisonnable pour la greffière de conclure que les parents de M. Vavilov- des espions Russes- étaient des « représentant[s] à un autre titre ou au service au Canada d’un gouvernement étranger » au sens de l’al. 3(2)a) de la Loi sur la citoyenneté (para. 171). Avant d’expliquer pourquoi une telle conclusion n’était pas raisonnable, la Cour Suprême commence par déterminer si la Cour d’appel fédérale a défini et appliqué la norme de contrôle appropriée à la décision de la greffière de la citoyenneté (pour rappel, la Cour fédérale avait statué que la décision de greffière était « correcte » alors que la Cour d’appel fédérale avait jugé que cette même décision était « déraisonnable »). Elle en profite pour établir une nouvelle façon pour les cours de justice de déterminer la norme de contrôle applicable dans les processus de révision des décisions administratives, incluant les affaires en matière d’immigration et d’asile). 

 

ÉCLAIRAGE

 UNE CLARIFICATION DU DROIT APPLICABLE AU CONTRÔLE JUDICIAIRE DES DÉCISIONS ADMINISTRATIVES

Au Canada, la norme de contrôle est la démarche juridique employée par les cours de justice lorsqu’elles doivent réviser une décision administrative – c.à.d., une décision non judiciaire prise par un gouvernement ou par une personne ou organisme agissant en son nom-. En matière d’immigration et d’asile, conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, c’est la Cour fédérale qui peut contrôler une décision, ordonnance ou mesure découlant de la Loi. Toutefois, un aspect particulier du droit de l’immigration et de l’asile au Canada est que toute personne qui recherche le contrôle judiciaire d’une mesure ou décision– prise par exemple par la Commission de l’Immigration et du Statut de Réfugié, Immigration et Réfugiés Citoyenneté Canada, ou l’Agence sur la Sécurité des frontières du Canada – doit d’abord en demander l’autorisation à la Cour.  Par conséquent, le contrôle judiciaire des décisions rendues en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés est une procédure en deux étapes. La première consiste à demander à la Cour la permission de présenter l’affaire : si la demande est rejetée, l’affaire ne va pas plus loin puisqu’il est impossible d’en appeler de cette décision (al. 72(2)e)). Si l’autorisation est donnée, l’étape suivante est la demande de contrôle judiciaire. 

Dans l’arrêt Dunsmuir c. NouveauBrunswick (2008), la Cour suprême a stipulé qu’il existait deux normes de contrôle : celle de la « décision correcte » et celle de la « décision raisonnable ». Selon la norme de la décision correcte, une cour de justice ne fait pas montre de déférence à l’égard du raisonnement du décideur. En d’autres termes, la « décision correcte » est la « seule bonne réponse possible à la lumière du droit et des faits [3]». Selon la norme de la décision raisonnable, une cour de justice fait preuve de déférence envers le décideur, donc une « décision raisonnable » est « le résultat d’un raisonnement cohérent. Elle doit être sensée à la lumière du droit et des faits[4] ». Cela signifie que tant que les décisions et processus de raisonnement des organismes administratifs respectent le caractère raisonnable, elles ne peuvent être invalidées par les cours de justice, même si ces dernières parviendraient à une décision différente. En somme, et pour résumer simplement, avec la norme de la décision correcte, la cour qui révise la décision fait sa propre analyse et détermine si la décision contestée est la bonne, alors qu’avec la norme de la décision raisonnable, la Cour qui révise la décision détermine si le raisonnement qui la sous-tend est rationnel et intelligible, sans que ce soit nécessairement la seule option possible. Dans l’arrêt Dunsmuir, la Cour Suprême a également établi qu’il y avait une présomption d’application de la norme de la décision raisonnable à l’égard des décisions administratives. Cette présomption pouvait être réfutée en faveur de la norme de la décision correcte dans des cas précis, mais la question de savoir quels étaient ces cas précis faisait l’objet de nombreux débats et désaccords, tout comme celle concernant la manière dont il convenait d’appliquer chaque norme. 

Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême conserve les deux normes de contrôle existantes, mais elle part du constat que ses décisions antérieures concernant la norme de contrôle ne produisent pas les effets escomptés, et elle saisit donc cette occasion pour revoir complétement son cadre d’analyse servant à déterminer la norme applicable. Le nouveau cadre d’analyse résultant de l’arrêt Vavilov peut être résumé comme suit : 

  1. Une décision administrative doit être révisée par les tribunaux selon la norme de la décision raisonnable (Vavilov, para. 23-30). Si une décision n’est pas « raisonnable », l’affaire doit être renvoyée au décideur pour qu’il la réexamine, et il est alors possible que le décideur arrive au même résultat ou à un résultat différent (il arrive cependant, à de très rares occasions, qu’une cour de justice décide tout simplement de remplacer la décision rendue par le décideur par la sienne).
  2. Il y a deux situations où la norme applicable n’est pas celle de la « décision raisonnable » :
  3. a) Lorsque le législateur a lui-même indiqué dans la loi la norme de contrôle à appliquer, que ce soit explicitement ou en prévoyant un droit d’appel (para. 34-54)[5].
  4. b) Lorsque la primauté du droit exige que la décision soit révisée selon la norme de la décision correcte, soit à l’égard des questions constitutionnelles, des questions de droit d’importance capitale pour le système juridique dans son ensemble, ou des questions touchant la limite entre les compétences des tribunaux administratifs (para. 55-64). Dans ces situations, si la décision qui a été rendue n’est pas la décision « correcte », la cour de justice la modifiera, sans renvoyer l’affaire au décideur.

En appliquant son raisonnement (résumé ci-dessus) à la présente affaire, la Cour Suprême conclut que la Cour d’appel fédérale a défini et appliqué la norme de contrôle appropriée à la décision de la greffière de la citoyenneté. La Cour Suprême conclut également, au même titre que la Cour d’appel fédérale, que l’interprétation par la greffière de l’al. 3(2)(a) de la Loi sur la citoyenneté était déraisonnable (para. 342). Ci-dessous, nous expliquons le raisonnement de la Cour qui sous-tend sa décision. 

 

 UNE INTERPRÉTATION PLUS ÉTROITE DE L’EXCEPTION À LA RÈGLE GÉNÉRALE SELON LAQUELLE TOUTE PERSONNE NÉE AU CANADA POSSÈDE LA CITOYENNETÉ CANADIENNE

Au Canada, la Loi sur la citoyenneté (la Loi) stipule qu’il existe trois façons pour une personne d’acquérir la citoyenneté canadienne : 1) par naissance en sol canadien (al.3(1)a) de la Loi); 2) par filiation (al. 3(1) b) de la Loi) ; 3) par attribution (ou naturalisation, al. 3(1) c) de la Loi). Ainsi, en fonction de l’al. 3(1)a) de la Loi, toute personne née au Canada après l’entrée en vigueur de la loi actuelle (donc après le 14 février 1977) acquière automatiquement la citoyenneté, du simple fait de sa naissance en territoire canadien. Toutefois, au titre de l’al. 3(2)a) de la Loi, il existe une exception à cette règle générale. En effet, la loi précise que la citoyenneté canadienne par naissance n’est pas reconnue à « la personne dont, au moment de la naissance, les parents n’avaient qualité ni de citoyens ni de résidents permanents et dont le père ou la mère était [. . .] agent diplomatique ou consulaire, représentant à un autre titre ou au service au Canada d’un gouvernement étranger ». 

La décision de la greffière d’annuler le certificat de citoyenneté de M. Vavilov reposait sur son interprétation de l’al 3(2)a) de la Loi. En fait, la greffière s’est largement appuyée sur un rapport rédigé par un analyste subalterne pour rendre sa décision (para. 153). Ce rapport mentionnait que l’expression « représentant à un autre titre ou au service d’un gouvernement étranger » n’est pas définie dans la Loi, mais que le terme « agent diplomatique ou consulaire » est au contraire défini au par. 35(1) de la Loi d’interprétation, et il en conclut donc que l’expression « représentant à un autre titre ou au service d’un gouvernement étranger » englobe toutes les personnes qui ne sont pas visées par la définition du terme « personnel diplomatique et consulaire », y compris les espions infiltrés comme les parents de M. Vasilov qui ne bénéficient pas des avantages ou de l’immunité dont jouissent les personnes affectées à des missions diplomatiques ou à des postes consulaires ou officiels (para. 156-159). Appliquant la norme de la décision correcte, la Cour fédérale souscrit à l’opinion de la greffière selon laquelle les agents d’infiltration étrangers vivant au Canada sont visés par les mots « agent diplomatique ou consulaire, représentant à un autre titre ou au service au Canada d’un gouvernement étranger » de l’al.3(2)a), même s’ils n’ont pas de statut diplomatique ou consulaire. Selon la Cour fédérale, « interpréter l’al.3(2)a) d’une autre façon aurait pour effet de rendre l’expression ‘représentant à un autre titre ou au service au Canada d’un gouvernement étranger’ vide de sens » et donnerait lieu à un «résultat absurde»: «les enfants d’un diplomate étranger qui travaille dans une ambassade et mène des opérations d’espionnage ne seraient pas citoyens canadiens de naissance, alors que les enfants de personnes qui sont entrées illégalement au Canada pour accomplir des opérations similaires le seraient» » (para. 162). Toutefois, les juges majoritaires de la Cour d’appel fédérale concluent que l’interprétation de l’al. 3(2)a) donnée par l’analyste et adoptée par la greffière était déraisonnable. Selon eux, lorsqu’on prend en compte le contexte et l’objet de cette disposition (ce que l’analyste n’a pas fait), la seule conclusion raisonnable est que l’al.3(2)a) ne s’applique qu’aux personnes à qui on a accordé des privilèges et immunités diplomatiques reconnus en droit international (para. 167). La Cour Suprême accueille la décision de la Cour d’appel fédérale et conclut (para. 194): 

« L’article 3 de la Loi sur la citoyenneté pris dans son ensemble, les autres lois et traités internationaux qui éclairent l’objet de cette disposition, la jurisprudence citée dans le rapport de l’analyste et les conséquences possibles de la décision de la greffière mènent inéluctablement à la conclusion que le Parlement ne voulait pas que l’al.3(2)a) s’applique aux enfants des personnes à qui on n’a pas accordé de privilèges et d’immunités diplomatiques. Le défaut de la greffière de justifier sa décision à l’égard de ces contraintes rend son interprétation déraisonnable. Nous sommes par conséquent d’avis de confirmer l’arrêt de la Cour d’appel fédérale qui a cassé la décision de la greffière ». 

Cette conclusion de la Cour Suprême est importante à plusieurs égards. Tout d’abord, elle permet un encadrement plus serré de l’exception à la règle générale selon laquelle toute personne née au Canada possède la citoyenneté canadienne, en rappelant que les personnes visées par l’al.3(2)a) de la Loi ne sont pas toutes celles qui sont «au service au Canada d’un gouvernement étranger » : ces personnes doivent également s’être vu accorder – du moins à l’époque pertinente-certains privilèges et immunités diplomatiques. Cette décision rappelle également l’importance de tenir compte adéquatement et suffisamment des débats des législateurs, des décisions des tribunaux, du texte de la loi et du droit international quand vient le temps d’interpréter une disposition législative qui n’est pas définie dans la loi. Cela est crucial dans un contexte comme celui-ci, où une telle disposition a pour effet d’enlever des droits fondamentaux, en l’occurrence la citoyenneté acquise au titre du par.3(1). Le rappel de la Cour Suprême sur les conséquences extrêmement sévères d’une interprétation trop étroite de la loi pour une catégorie non-définie de personnes est donc particulièrement bienvenue ici. 

Habituellement, et tel qu’expliqué précédemment, si une cour de justice juge qu’une décision administrative est déraisonnable, elle renvoie l’affaire au décideur pour qu’il l’examine à nouveau. Toutefois, la Cour Suprême a établi qu’il ne servirait à rien de le faire en l’espèce, car M. Vavilov avait déjà soulevé toutes ces questions et rien n’avait fait changer d’avis la greffière (para. 195-196). Les juges ont donc conclu que M. Vavilov est un citoyen canadien. 

 

CONCLUSION

L’arrêt Vavilov est un arrêt important pour plusieurs raisons : 

Tout d’abord, il clarifie quelle norme de contrôle s’applique dans les cas où une décision administrative doit être révisée par les cours de justice, ce qui permet, par exemple, de procéder dorénavant à une distinction nette entre le contrôle judiciaire (norme de la décision raisonnable) et l’appel (norme de la décision correcte). En outre, et bien que ce point n’ait pas été abordé dans ce commentaire d’arrêt, Vavilov offre aux cours de justice des indications utiles pour les aider à déterminer si une décision administrative est raisonnable (para. 73 à 143), ce qui, en retour, peut encourager les décideurs administratifs à mieux établir le bien-fondé de leurs décisions. Toutefois, comme formulé dans les opinions minoritaires des juges Abella et Karakatnasis, on peut également s’inquiéter que cette nouvelle approche de la Cour élargit « considérablement les circonstances dans lesquelles les juges généralistes pourront substituer leur propre opinion à celles des décideurs spécialisés qui exercent leur mandat au quotidien » (résumé par la Cour Suprême des motifs des juges minoritaires), et il est fort à parier que ce « volte-face » (para. 199) de la Cour par rapport à sa jurisprudence précédente entrainera une augmentation du volume d’appel des décisions des organismes administratifs. 

L’arrêt Vavilov permet également de limiter la portée de l’al. 3(2)a de la Loi sur la citoyenneté en concluant que cet alinéa s’applique uniquement aux ressortissants étrangers qui bénéficient de privilèges et immunités diplomatiques. Ce sont de bonnes nouvelles dans un contexte ou l’al. 3(2) de la Loi a été jusqu’ici appliqué par les cours Canadiennes d’une manière plutôt large[6]. En effet, suite à l’arrêt Vavilov, on peut s’interroger très sérieusement sur le bien-fondé de l’al.3(2)b) de la Loi. Cet article stipule que la règle générale selon laquelle un enfant né au Canada est citoyen canadien ne s’applique pas « à la personne dont, au moment de la naissance, les parents n’avaient qualité ni de citoyens ni de résidents permanents et dont le père ou la mère était (…) au service [d’un agent diplomatique ou consulaire ou d’une personne représentant au Canada un gouvernement étranger] ». Cela signifie, par exemple, que les enfants nés au Canada d’un travailleur étranger au service d’une ambassade à titre d’aide domestique qui n’a pas d’immunité ou de privilège diplomatique ne pourront acquérir la citoyenneté canadienne: les conséquences pour ces derniers sont, au même titre que pour M. Vavilov, particulièrement graves, et cette injustice mériterait d’être corrigée.

 

POUR ALLER PLUS LOIN

Lire l’arrêt : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65 

Jurisprudence : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 (CanLII), [2008] 1 RCS 190 

Pour citer cette note : D. Nakache, « Le contrôle judiciaire des décisions administratives : de la censure des décisions incorrectes et /ou déraisonnables », Cahiers de l’EDEM, janvier 2020. 

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Parallèles en droit de l’UE et en droit national par Sylvie Sarolea 

Sur la norme de contrôle applicable en matière d’asile au sein de l’UE, voy. l’arrêt Torubarov et son commentaire par Eleonora Frasca. La CJUE précise que le mécanisme de contrôle juridictionnel des décisions en matière d’asile peut priver les demandeurs de leur droit à un recours effectif lorsqu’il consiste à renvoyer à l’autorité administrative et que celle-ci ne se conforme pas à la décision judiciaire. Il se déduit de l’article 46, paragraphe 3, de la directive 2013/32, lu en combinaison avec l’article 47 de la Charte, ayant un effet direct, que le juge national doit substituer sa propre décision à celle de l’autorité administrative, en écartant, le cas échéant, le droit national qui lui interdirait de procéder de la sorte, accordant ainsi une protection. 

En droit belge, voy. les réflexions sur l’agencement des recours et le pouvoir du juge face à l’administration (J.-Y. Carlier et S. Sarolea, Droit des étrangers, Bruxelles, Larcier, 2016, §§ 752 et s.). En dehors de l’asile où le juge dispose dans la plupart des cas d’un pouvoir de plein contentieux, le juge administratif, le Conseil du contentieux des étrangers, n’exerce qu’un contrôle marginal de la légalité. La distinction entre décision correcte ou raisonnable n’est pas opérée. D’une part, le juge ne peut sanctionner qu’une décision ou une procédure affectée d’un vice de légalité. D’autre part, il ne peut en aucun cas substituer son analyse à celle de l’administration. 

La première limite n’exclut pas que l’on se pose la question de la norme de contrôle dès lors que de nombreux droits appellent à une analyse de la proportionnalité. Tester la proportionnalité d’une décision excède un examen purement technique et amène naturellement à se poser la question du caractère raisonnable de la décision prise. Jusqu’à ce jour la jurisprudence administrative en matière d’immigration contourne cette difficulté en limitant dans la toute grande majorité des arrêts son contrôle à celui de la motivation adéquate. 

Les réflexions canadiennes devraient inspirer le législateur qui pourrait envisager un contrôle de plein contentieux en matière d’immigration tout en ajustant l’ampleur du contrôle du juge en fonction de la marge d’appréciation dont l’administration doit disposer, cette dernière étant fonction du droit en cause. L’opportunité d’un maintien de la distinction entre le contrôle marginal de légalité et le contrôle de plein contentieux, dans une matière impliquant des droits subjectifs, est questionnée depuis des années. Les droits en cause, parmi lesquels le droit fondamental au respect de la vie familiale, ne s’accommodent pas d’un juge réduit à exercer une compétence négative, car annuler c’est supprimer, sans pouvoir, positivement, porter remède au « mal » constaté. L’annulation remet la situation dans son état antérieur, mais ne permet pas de garantir la jouissance du droit subjectif en cause. Il est de nombreux cas de carrousel administratif dans lesquels un requérant obtient successivement plusieurs annulations, sans toutefois qu’une décision favorable ne soit adoptée par l’administration. 

Ces difficultés entament le caractère effectif de la procédure devant le Conseil du contentieux des étrangers. Avec Jean-Yves Carlier, nous pensons que « le dédoublement de procédure devant le Conseil du contentieux des étrangers ne devrait pas être maintenu. Tout recours devrait être de plein contentieux et en principe suspensif. Le privilège du préalable de l’administration doit, en matière de séjour des étrangers, être renversé, car l’exécution d’une mesure de refoulement ou d’éloignement du territoire entraîne nécessairement un préjudice grave difficilement réparable si la mesure devait, par la suite, être rapportée. Le principe de la suspension de plein droit pourrait être soumis à̀ des exceptions dûment motivées dans la décision administrative susceptible, dans ce cas, d’un référé́ administratif » (J.‑Y. Carlier, « Évolution procédurale du statut de l’étranger : constats, défis, propositions », J.T., 2011, p. 117). 

  

À NOTER : Cet article de blogue était originalement publié sur le site de Juriblogue.ca.  

Veuillez prendre note de la date de rédaction de cet article de blogue. Il est possible que certaines informations ne soient plus à jour. 

 

 

[1] Cour fédérale (le juge Bell), 2015 CF 960 

[2] Cour d’appel fédérale (le juge Stratas, avec l’accord du juge Webb; la juge Gleason, dissidente), 2017 CAF 132. 

[3] Cour Suprême du Canada, « Jurisprudence en bref : la norme de contrôle (tirée de Vavilov, un jugement de la « trilogie d’arrêts en droit administratif ») »; en ligne : https://www.scc-csc.ca/case-dossier/cb/2019/37748-37896-37897-fra.aspx (date de modification: 19 décembre 2019). 

[4] Ibid. 

[5] En appel, les normes de contrôle applicables sont les mêmes que celles qu’utilisent les cours de justice pour trancher les appels formés à l’encontre des décisions des cours inférieures. La norme est donc celle de la « décision correcte ». 

[6] Voir par exemple, Lee c.  Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration),2008CF614; Budlakoti c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CAF 139.