Le droit comparé et son utilité

Le droit comparé et son utilité

Le « droit comparé est une discipline étrange »[1] ainsi commença un auteur dans son article pour souligner la difficulté qui sous-tend la nature de ce domaine de savoir juridique; s’agit-il d’une méthode ? D’un outil d’interprétation ? Ou d’une source de droit ? Manifestement, le recours au droit comparé a accompagné toute l’histoire de l’évolution du droit en général depuis l’antiquité grecque et romaine.[2] L’utilité de ce domaine de savoir juridique fait elle aussi l’unanimité puisque le droit comparé, en tant que connaissance d’un droit étranger, nous permet, comme l’avaient mentionné certains auteurs[3], de connaitre les mentalités et les valeurs des autres peuples. Il nous permet également d’améliorer et de mieux comprendre les forces et les faiblesses de notre droit national. Il suffit de se référer au Code civil du Québec pour comprendre l’importance du droit étranger[4] dans la formation de nombreuses règles qui ont été incorporées à ce code. 

Nous pensons que le droit comparé est à la fois une méthode, une source de droit et une discipline juridique qui a son propre champ d’études et qui diffère du droit normatif.[5] 

Il est une méthode puisqu’il propose au chercheur de confronter et de valider ses recherches en les comparant à d’autres expériences juridiques étrangères ; ainsi celui qui étudie la notion de souveraineté dans la Constitution canadienne en la confrontant à la Constitution australienne, utilise le droit étranger pour mieux comprendre sa thèse. En mettant en parallèle les institutions juridiques canadiennes avec d’autres institutions juridiques, le chercheur sera en mesure de déceler les points forts et les points faibles du droit canadien et pourra ainsi proposer des pistes d’amélioration. La comparaison peut porter sur des systèmes plus généraux en confrontant, par exemple, la philosophie de la common law à celle du droit civil. D’ailleurs, plusieurs théories ont été élaborées en vue de tenter de déterminer des critères de classification des systèmes juridiques, comme ce fut le cas du professeur canadien, Patrick Glenn[6], qui a su distinguer sept traditions juridiques[7] afin de permettre une meilleure compréhension des cultures juridiques étrangères. D’autres en revanche voudront démontrer que certaines traditions sont mieux que d’autres.[8] 

Le droit comparé peut être aussi une source de droit. La lecture des décisions de la Cour suprême du Canada montre combien le recours aux droits étrangers est important pour le bien-fondé de la décision prise. Nous avons pu découvrir qu’aux États-Unis, en 1908[9], l’avocat Louis Brandeis a gagné un procès devant la Cour suprême des États-Unis en soumettant un mémoire[10] dont la majorité était consacrée au droit étranger, et ce, dans le but de convaincre le tribunal de son point de vue. Par ailleurs, en droit international, l’article 38 du Statut de la CIJ[11] prévoit que les droits étatiques sont parmi les sources sur laquelle doit se baser la Cour pour rendre ses jugements, constituant ainsi une reconnaissance directe du droit comparé comme source du droit international. 

Le droit comparé est un domaine de droit qui n’est pas un droit normatif, c’est pour cela qu’on exige du chercheur qu’il prenne l’étude du droit étranger au sérieux sinon le droit comparé se limitera à un « folklore »[12] juridique, pour emprunter l’expression de Merryman.[13] 

Nous croyons que le droit comparé existe, en tant que méthode, en tant que source de droit et en tant que domaine de savoir juridique tant que les autres matières[14] de droit existent. Plus encore, dans l’actualité internationale marquée par l’ouverture des frontières, par les défis[15] mondiaux similaires et l’interaction rapide via les nouveaux moyens de technologie, le droit comparé est un domaine incontournable pour améliorer les législations nationales et pour permettre de former des juristes transfrontaliers (cosmopolitisme). C’est dans cette optique que nous nous intéresserons aux lois provinciales régissant les congés de maternité au Canada. Notre recherche portera plus spécifiquement sur les lois ontariennes et québécoises. Une étude du droit comparé s’impose et à terme cette comparaison aura pour but de dénoter ce qui pourrait être amélioré dans la législation ontarienne, par exemple. Il sera également intéressant de déceler toutes les différences qui existent entre ces deux législations en essayant de leur attribuer une explication historique et juridique. 

 

 

À NOTER : Cet article de blogue était originalement publié sur le site de Juriblogue.ca.  

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[1] Otto Pfersmann, « Le droit comparé comme interprétation et comme théorie du droit » (2001) 53 :2 RIDC 275 à la p 275, en ligne : <http://www.persee.fr/doc/ridc_0035-3337_2001_num_53_2_17976> 

[2] On rapportait, par exemple, que le philosophe Grec Aristote avait étudié les constitutions de 158 cités grecques et étrangères pour proposer une Constitution à Athènes. Marc Ancel, Utilité et méthodes du droit comparé, Éditions Ides et Calendes, Neuchatel, 1971 à la p 12. 

[3] Comme Marc Ancel, utilité et méthode de droit comparé, ou Réné David, Grands systèmes de droit contemporains de R. David et C. Jauffret-Spinosi, Grands systèmes de droit contemporains 11e éd, Dalloz, Paris, 2002. 

[4] (droit français, droit suisse, common law) 

[5] Le droit qui édicte des normes : droit pénal, droit administratif, droit constitutionnel, etc. 

[6] Patrick Glenn, Legal Tradition of the World, 5e éd, Oxford University Press, Oxford, 2014. 

[7] Tradition chtonienne, talmudique, civiliste, common law, asiatique, musulmane, extrême-orientale. 

[8] Il en est ainsi de Max Weber qui défend d’une idée de l’unicité de la tradition juridique européenne en comparaison avec le droit non européen. Par exemple selon Weber, le droit asiatique, ne présente pas de droit substantiellement rationnel. Voir Annelise Riles, « Comparative law and socio-legal studies » dans Mathias Reimann et Reinhard Zimmermman, The Oxford handbook of comparative law, dir, Oxford University Press, Oxford, 2006 à la p 781. Il explique cela en raison du fait qu’il s’agit de coutumes qui sont notamment dépourvues de sanction externe, voir ibid à la 780. 

[9] Muller v. Oregon, 208 U.S. 412 (1908), en ligne: <https://supreme.justia.com/cases/federal/us/208/412/> 

[10] Mieux connu sous le nom de “Brandeis Brief”. Voir The Brandeis Brief in its entirety, en ligne : 

<https://louisville.edu/law/library/special-collections/the-louis-d.-brandeis-collection/the-brandeis-brief-in-its- entirety>. Voir également Ruth Bader Gainsburg, « Lesons learned from Louis D. Brandeis », Brandeis Now, en ligne : <http://www.brandeis.edu/now/2016/january/ginsburg-remarks.html> 

[11] Cour Internationale de Justice 

[12] Expression utilisée par Henry Merryman. John Henry Merryman, « The italian style III : Interpretation » [1966] 18 Standford Law Review 583. 

[13] Merryman ajoute que parfois les législations étatiques « does not [always] represent an accurate picture of the legal process, and there remains a tension between folklore and practice », Stefan Vogenauer, « Sources of law and legal method in comparative law» dans Mathias Reimann et Reinhard Zimmermman, The Oxford handbook of comparative law, dir, Oxford University Press, Oxford, 2006 à la 882. 

[14] Droit des contrats, droit constitutionnel, etc. 

[15] Pauvreté et terrorisme par exemple.