Les primes de contrat à la suite d’un congédiement : Quand faut-il payer l’employé ?

Les primes de contrat à la suite d’un congédiement : Quand faut-il payer l’employé ?

Le 8 octobre 2019, la Cour suprême du Canada a entendu le pourvoi Matthews v Ocean Nutrition Canada LimitedMatthews »), en appel d’une décision rendue par la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse en 2018. Dans cet arrêt, la Cour d’appel a infirmé une décision qui octroyait au demandeur le droit de recevoir une prime de contrat après son congédiement sans motif, malgré le langage contractuel stipulant qu’être employé activement par l’entreprise était une condition préalable à l’obtention de la prime. 

Le plus haut tribunal du pays aura ainsi l’occasion de se prononcer sur le droit aux primes de contrat des travailleurs à la suite d’un congédiement déguisé. Cette affaire revêt une importance particulière puisqu’elle permettra à la Cour suprême de fournir un éclaircissement utile quant aux clauses de résiliation et au droit des employeurs d’interdire, par voie de contrat, les employés de recevoir des primes d’intéressements après un congédiement. 

 

La décision en première instance
Le demandeur, David Matthews, a travaillé pour le défendeur, Ocean Nutrition Canada (ONC), pendant près de quatorze (14) ans en tant que chimiste expérimenté avec de l’ancienneté. Vers la fin du mandat de M. Matthews, son patron change la structure hiérarchique de l’entreprise et lui ment à ce sujet, l’exclut d’initiatives majeures, refuse de lui parler de problèmes liés à l’entreprise, lui ment au sujet d’une vente éventuelle de la compagnie et plus encore. 

En 2011, M. Matthews démissionne et poursuit ONC, alléguant avoir fait l’objet d’un congédiement déguisé. En 2017, la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse concluait que la conduite du patron d’ONC équivalait à un congédiement déguisé. En conséquence, la Cour a ordonné que M. Matthews reçoive une indemnité de préavis de 15 mois. 

Fait à noter, le tribunal de première instance a conclu que le demandeur avait droit à plus d’un million de dollars en vertu du régime d’intéressement à long terme de l’entreprise (« RILT ») prévu dans le contrat d’emploi de M. Matthews. Le RILT prévoyait notamment que si la société était vendue pendant que le demandeur y était employé, il devait recevoir une portion des profits de la vente, en plus de 2 % des profits étant payables à un groupe de dirigeants incluant le demandeur. Le tribunal de première instance a statué que le régime d’intéressement ne limitait pas le droit du demandeur d’être payé sous le RILT. 

 

La décision de la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse
En appel, les juges majoritaires ont confirmé la décision de la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse quant au congédiement déguisé de M. Matthews. Toutefois, ils ont infirmé la décision en première instance en ce qui a trait au droit du demandeur de récupérer la prime en vertu du régime d’intéressement. 

En fait, la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse a conclu que le contrat d’emploi de M. Matthews prévoyait expressément que celui-ci ne pourrait recevoir une prime en vertu du régime d’intéressement que s’il était activement employé par l’entreprise au moment de la vente. 

Le contrat d’emploi comprenait les deux clauses suivantes : 

“2.03 CONDITIONS PRECEDENT:ONC shall have no obligation under this Agreement to the Employee unless on the date of a Realization Event the Employee is a full-time employee of ONC. For greater certainty, this Agreement shall be of no force or effect if the employee ceases to be an employee of ONC, regardless of whether the Employee resigns or is terminated, with or without cause. […] 

2.05 GENERAL:The Long Term Value Creation Bonus Plan does not have any current or future value other than on the date of the Realization Event and shall not be calculated as part of the Employee’s compensation for any purpose, including in connection with the Employee’s resignation or in any severance calculation.” 

La Cour d’appel s’est concentrée sur le langage clair et non équivoque du contrat entre l’employé et son employeur. À son avis, la clause 2.03 est claire : le contrat est nul et sans effet si l’employé démissionne ou est congédié. Tout compte fait, la Cour confirme que le langage clair et non équivoque des contrats d’emploi régit le droit d’un employé aux primes d’intéressements ou aux bonus prévus. 

Une formation de sept juges de la Cour suprême du Canada a entendu l’appel le 8 octobre 2019 et a pris l’affaire en délibéré. 

 

Les principes à retenir pour les employeurs et les employés
En attente du jugement de la Cour suprême dans l’affaire Matthews, il est pertinent de rappeler certains principes qui se dégagent de la jurisprudence au sujet des primes de contrat des travailleurs à la suite d’un congédiement : 

  • Les tribunaux canadiens insistent sur l’importance de prévoir un langage contractuel clair et explicite pour l’obtention d’un bonus à la suite d’un congédiement (Veer v Dover Corporation, 1999 CanLII 3008 (ONCA); Andros v Colliers Macaulay Nicolls Inc., 2019 ONCA 679; Styles v Alberta Investment Management Corp., 2017 ABCA 1; McLeod v Lifelabs BC LP, 2015 BCSC 1857);
  • Le droit d’un employé au recouvrement d’une prime d’intéressement à la suite d’un congédiement n’est pas automatique. L’analyse jurisprudentielle indique notamment que le langage contractuel clair prévu dans les régimes d’intéressements régira l’accès légitime aux primes ou bonus en cas de congédiement sans motif;
  • Ce qui constitue un libellé ambigu s’apprécie selon les faits particuliers de chaque cas (Andros v Colliers Macaulay Nicolls Inc., 2019 ONCA 679);
  • Les employeurs et employés ont tout intérêt de prévoir clairement dans quelles circonstances un employé aura droit aux primes ou bonus à la suite d’une démission ou d’un congédiement et ce, dès le début d’une relation de travail;
  • Les clauses contractuelles ambiguës seront souvent résolues en faveur des employés et de manière contraire aux intérêts d’un employeur (Veer v Dover Corporation, 1999 CanLII 3008 (ONCA); Andros v Colliers Macaulay Nicolls Inc., 2019 ONCA 679; Styles v Alberta Investment Management Corp., 2017 ABCA).

 

À NOTER : Cet article de blogue était originalement publié sur le site de Juriblogue.ca.  

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