L’origine de l’ère numérique ? L’hiver vient pour les droits d’auteur !

L’origine de l’ère numérique ? L’hiver vient pour les droits d’auteur !

Mise en contexte 

Game of Thrones a été l’une des séries les plus populaires sur la scène internationale en 2018. La série, disponible sur la chaîne de télévision HBO, raconte l’histoire d’une guerre civile pour conquérir le Trône de Fer et régner sur les sept royaumes d’un continent fictif. 

Toutefois, sur le plan juridique, la popularité de cette série n’a pas été sans conséquences, car elle est aussi l’une des séries les plus piratées des dernières années. 

 

LE DÉFI D’INTERNET : DÉTERMINER LA SOURCE 

Il existe plusieurs réseaux de partage de fichiers poste à poste dans lesquels les usagers se partagent des fichiers illicitement (torrent). Par l’entremise de ces réseaux, un usager peut se procurer un abonnement légitime à HBO et ensuite partager les émissions à des centaines de milliers de personnes à travers le monde, lesquelles n’auront pas légitimement accéder au contenu partagé. 

Les abonnés à ces réseaux, qui reçoivent ou distribuent les fichiers illégalement, violent le droit d’auteur du titulaire original. Pour les violations en ligne, il devient presque impossible pour les titulaires de droit d’auteur d’identifier les personnes qui contreviennent à la Loi sur le droit d’auteur. 

En fait, lorsque les individus utilisent Internet, ils ne sont pas identifiés par leurs noms personnels, mais par une adresse IP (Internet protocol). Celle-ci peut établir les appareils qui sont utilisés pour violer les droits d’auteur, mais cela n’identifie pas nécessairement les personnes. 

 

Une modernisation législative 

En 2012, la Loi sur le droit d’auteur a été modifiée afin de reconnaître les nouvelles possibilités et les nouveaux défis de l’ère numérique en lien avec les droits d’auteur. 

Plus précisément, l’article 41.26 de la Loi prévoit un nouveau recours pour les titulaires de droits d’auteur. En vertu de cet article, les titulaires peuvent envoyer un avis de violation à un fournisseur de service Internet. À son tour, le fournisseur doit transmettre l’avis à quiconque détient l’adresse IP en violation du droit d’auteur. 

De cette façon, les personnes peuvent cesser leurs activités illicites et payer des dommages-intérêts préétablis au titulaire. 

 

La Cour suprême du Canada s’en mêle : un recul pour les droits d’auteur en ligne ? 

L’an dernier, en 2018, la Cour suprême du Canada s’est prononcée sur l’étendue de l’article 41.26 de la Loi sur le droit d’auteur. 

Dans l’affaire Rogers c Voltage Pictures, plusieurs compagnies de cinématographie ont intenté une action contre le fournisseur Internet Rogers. La Cour suprême a clarifié l’indemnisation qu’un fournisseur Internet pouvait réclamer afin de se conformer à l’article 41.26 de la Loi. 

En même temps, la Cour suprême a également clarifié plusieurs obligations qui incombent aux fournisseurs Internet. 

Tout d’abord, l’article 41.26 prévoit certaines obligations expresses comme celle de transmettre l’avis de violation à quiconque détient l’adresse IP en violation du droit d’auteur. Ces obligations explicites incluent aussi certaines obligations implicites. Par exemple, afin que le système d’avis fonctionne correctement, le fournisseur doit pouvoir trouver et transmettre l’avis à la bonne personne. 

L’article 41.26 oblige également le fournisseur de maintenir un registre dans lequel il garde l’information des détenteurs d’adresse IP. La Cour suprême a confirmé que ce registre doit permettre au fournisseur, et au fournisseur seulement, d’associer les personnes. Il n’est pas nécessaire que les titulaires de droit d’auteur aient accès aux registres ou soient capables de les lire. 

En effet, l’article 41.26 ne confère pas aux titulaires le droit de connaitre l’identité des personnes qui agissent en violation des droits d’auteur. 

Enfin, le paragraphe 41.26(2) de la Loi permet au fournisseur de se faire indemniser pour les frais raisonnablement occasionnés afin de se conformer aux obligations du paragraphe 41.26(1). 

Toutefois, au moment du litige, le ministre n’ayant pas encore prévu de montant, Rogers ne pouvait pas demander à Voltage de lui rembourser ni les frais encourus pour transmettre les avis aux personnes ayant violé leurs droits d’auteur, ni les frais encourus afin d’assurer la validité de l’information. 

Pour les titulaires de droits d’auteur, la partie problématique du jugement concerne l’ordonnance Norwich. Cette ordonnance oblige le fournisseur Internet à dévoiler l’identité et l’adresse personnelle des personnes qui sont en violation du droit d’auteur du demandeur. 

Ainsi, pour connaitre l’identité des personnes, le titulaire doit obtenir une ordonnance judiciaire. L’ordonnance étant exclue de la Loi sur le droit d’auteur, le fournisseur peut demander au titulaire de l’indemniser pour les frais raisonnablement occasionnés afin de se conformer à cette ordonnance judiciaire. 

 

L’incidence de la décision sur les droits d’auteur en ligne 

La décision de la Cour suprême dans Rogers c Voltage avait un potentiel pour faire avancer la lutte contre la violation des droits d’auteur en ligne. Quoique la décision ait inévitablement eu un effet positif sur les droits d’auteur, il semblerait qu’elle ait aussi eu pour effet de mettre des bâtons dans les roues des titulaires de droit d’auteur. 

À l’ère numérique, il devient de plus en plus facile pour les gens de se partager des fichiers contrefaits. Parallèlement, il devient encore plus difficile pour les titulaires de revendiquer leurs droits. Les titulaires doivent passer par un intermédiaire, soit le fournisseur du service Internet, puisque l’identité des personnes n’est pas connue. Cela ajoute déjà une étape supplémentaire comparée à une violation qui n’a pas lieu en ligne. 

Le paragraphe 41.26(2) de la Loi prévoit que le fournisseur peut exiger les frais raisonnablement occasionnés pour transmettre l’avis de violation au détenteur de l’adresse IP. Cela est conforme avec la jurisprudence et le reste de la Loi qui prévoient que le fournisseur n’est pas nécessairement responsable lorsque les abonnés violent les droits d’auteur. 

Ainsi, il serait injuste d’exiger que les fournisseurs transmettent l’avis gratuitement, avec toutes les obligations expresses et implicites que cela nécessite. 

En même temps, il serait injuste d’exiger que les titulaires payent des frais uniquement parce que la violation a eu lieu en ligne. 

Il y a donc une incohérence entre les intérêts respectifs des titulaires et des fournisseurs. Or, la Cour suprême a statué que le fournisseur ne pouvait rien exiger avant que le ministre se prononce sur la question. Pour l’instant, cette partie de la décision semble privilégier le respect des droits d’auteur en ligne. D’ailleurs, la plupart des gens qui reçoivent un avis de violation vont cesser leurs activités illicites et payer les dommages-intérêts demandés dans le but d’éviter un litige et/ou des frais additionnels. 

Le problème survient lorsque les personnes refusent de se conformer à l’avis. Puisque l’ordonnance Norwich tombe en dehors du champ d’application de la Loi sur le droit d’auteur, le fournisseur pourra réclamer les frais qu’il a engagés dans le but d’identifier les personnes à qui appartiennent les adresses IP problématiques. 

Dire que le titulaire doit payer pour connaître l’identité des personnes qui sont en violation des droits d’auteur constitue un recul important pour la protection des droits d’auteur en ligne. 

Comme l’a soutenu la Cour suprême, les fournisseurs peuvent exiger environ 100 $ par heure de travail. Sachant que les titulaires auront droit à des dommages-intérêts préétablis entre 100 $ et 5 000 $ pour toutes les violations que commettra un individu, la somme d’argent que le titulaire devra débourser au fournisseur vient limiter les dommages-intérêts réels que le titulaire peut réclamer. 

Rappelons-le, cette situation survient uniquement parce que la violation a eu lieu en ligne. 

 

La lutte continue pour les droits d’auteur en ligne 

Tout comme les résidants de Westeros doivent se préparer à un hiver pénible, les titulaires doivent eux aussi se préparer à une période difficile pour leurs droits d’auteur. Il est indéniable que la modernisation de la Loi sur le droit d’auteur ainsi que la décision récente de la Cour suprême ont apporté un progrès réel à la lutte contre la violation des droits d’auteur en ligne. 

Avec le système d’avis, un titulaire pourra être indemnisé pour la majorité des violations de son droit d’auteur. 

Le problème survient lorsqu’on veut connaître l’identité réelle des personnes, par exemple lorsqu’elles refusent de se conformer à l’avis. Dans ces cas, le titulaire devra débourser des frais additionnels, frais qui ne seraient pas engagés autrement, mais qui sont nécessaires simplement parce que la violation a eu lieu en ligne. 

Que l’œuvre existe en format numérique ou non, un titulaire de droit d’auteur a le droit à la protection que lui confère la Loi sur le droit d’auteur. Le titulaire ne devrait pas devoir s’endetter davantage, uniquement en raison du moyen ou du format dans lequel l’œuvre existe ou dans lequel la violation a été commise. 

 

 

À NOTER : Cet article de blogue était originalement publié sur le site de Juriblogue.ca.  

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