Quand la justice de la Cour pénale internationale dépend des mains souillées des enquêteurs

Quand la justice de la Cour pénale internationale dépend des mains souillées des enquêteurs

Comment convient-il d’encadrer la pratique, en droit pénal international, de recourir aux enquêtes menées par de tierces parties afin de préserver l’intégrité et l’admissibilité de la preuve recueillie par le truchement de telles enquêtes? C’est l’interrogation générale que soulève Rafael Braga da Silva dans son article “Sherlock at the ICC? Regulating Third-Party Investigations of International Crimes in the Rome Statute Legal Framework”[1]. 

  

En effet, la lutte contre l’impunité a fait un grand pas vers l’avant avec l’innovation du Statut de Rome. Celui-ci fait de la Cour pénale internationale (« CPI ») la première et unique juridiction pénale internationale permanente. L’article 54 du Statut consacre le bureau du procureur comme le responsable des enquêtes à charge et à décharge, mais la multiplication des poursuites aux quatre coins du globe et les limites logistiques, techniques et humaines pousse le bureau du procureur à confier certaines enquêtes à des tierces parties, qui ont l’avantage d’opérer en dehors du cadre statutaire et réglementaire de la CPI[2]. 

  

L’analyse de l’auteur se fait en trois volets.  Primo, la CPI ne distingue pas l’enquête publique, celle menée par un organe public ou mandaté par celui-ci, de l’enquête privée (par exemple, celle de la défense ou des victimes comme dans le droit national)[3]. Toutes les enquêtes des composantes de la CPI doivent être conformes au Code de conduite des enquêteurs[4]  (« Code »). 

  

Parmi les trois types d’enquêteurs qui interviennent devant la CPI, seuls ceux qui sont liés directement par la CPI (les parties) et ceux qui sont mandatés par l’ordre de la cour sont tenus de se conformer audit Code. Les tierces parties telles que les ONG et les Commissions d’enquête des Nations-Unies opèrent en dehors de ce cadre juridique. Ces derniers jouent néanmoins un rôle important dans la lutte contre l’impunité en vertu de leur flexibilité et l’efficacité de leurs moyens de collecte des éléments de preuves. 

  

Secondo, l’absence de cadre juridique sur la conduite des enquêtes par les tiers mine l’intégrité du système de justice pénale internationale et des éléments de preuve. Plus inquiétant encore est lorsque le juge fonde sa décision exclusivement sur l’analyse des rapports des ONG qui, contrairement au bureau du procureur, enquêtent exclusivement à charge. 

  

Souvent, il est impossible d’identifier les bailleurs de fonds des organismes à but non lucratif. Il est possible, par exemple, que l’État ou le régime qui finance la tierce partie soit le même qui commet des crimes graves. Afin de remplir leurs missions de collecte des éléments de preuves, certains enquêteurs sont prêts à tout pour faire parler les victimes ou témoins mettant ainsi la vie de ces derniers en danger dans des zones encore en conflit où les auteurs de crimes sont toujours en activité. La preuve peut être contaminée par les a priori de l’enquêteur avide de résultats. Selon les juges Henderson et Tarfusser, les rapports des tierces personnes et les articles de presse ne peuvent pas remplacer le devoir du bureau du procureur de faire enquête. Ces preuves, si elles sont admises, auront nécessairement une valeur probante et une fiabilité limitée.  Les rapports des ONG devraient servir exclusivement à fixer le contexte des faits[5]. 

  

Tertio, l’auteur prend position et encourage la CPI à adopter une approche rigoureuse en ce qui a trait à l’admissibilité de la preuve recueillie par de tierces parties. Tout élément de preuve de la tierce partie doit satisfaire au test en trois étapes de l’article 69(4) du Statut afin que l’admissibilité ne porte pas préjudice au droit de l’accusé à une défense pleine et entière : (1) la pertinence de la preuve pour la Cour, (2) sa valeur probante et (3) si elle ne porte pas préjudice. Il est essentiel que la CPI, par l’entremise de sa procédure, de puisse garantir la cohérence et la transparence des enquêtes menées par les parties et les tierces parties. Par ailleurs, si certains proposent un règlement pour résoudre l’insuffisance et la fiabilité de la preuve collectée par la tierce partie, l’auteur propose l’adoption d’un guide non contraignant destiné aux enquêteurs qui opèrent en dehors de la CPI afin d’assurer la fiabilité de la preuve recueillie. 

  

Je suis en accord avec Braga da Silva qui, tout en dénonçant le manque d’encadrement juridique des activités des tierces parties, reconnait le rôle important de ces dernières dans la noble et juste entreprise de faire la lumière sur les crimes graves qui dépassent l’entendement humain.  L’originalité de la réflexion de l’auteur réside dans sa position conciliatrice des droits des parties, des victimes, des témoins et de l’intérêt de la justice : il préconise l’équilibre du glaive et du bouclier si cher à Antonio Cassesse dans sa conception de la justice pénale internationale[6]. 

  

[1] (2020) Journal of International Criminal Justice, vol. 18, p 59–86. 

[2] Ibid, p. 78. 

[3] Ibid, p. 70. 

[4] Cour pénale international, Instruction administrative : Code de conduite des enquêteurs, ICC/AI/2008/05 (10 septembre 2008). Ibid, p. 80. 

[5] Ibid, p. 75. 

[6] Antonio Cassesse, « Procès équitable et juridictions pénales internationales », in Muir Watt, H. Ruiz Fabri, M. Delmas-Marty, Variations autour d’un droit commun, premières rencontres de l’UMR de droit comparé de Paris, Société de législation comparée, 2002, p. 245. 

 

À NOTER : Cet article de blogue était originalement publié sur le site de Juriblogue.ca.  

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