Stigmatisation des biens immobiliers et obligation de divulguer : Les vendeurs ont-ils l’obligation de divulguer « un stigmate » soit un suicide ou une mort violente dans un immeuble qu’ils mettent sur le marché ?

Stigmatisation des biens immobiliers et obligation de divulguer : Les vendeurs ont-ils l’obligation de divulguer « un stigmate » soit un suicide ou une mort violente dans un immeuble qu’ils mettent sur le marché ?

Environ la moitié des États américains ont adopté des lois exigeant la divulgation de la stigmatisation de la propriété. Certains d’entre eux exigent que la divulgation soit faite dans un délai imparti. Au Canada, le Québec est la seule province à divulguer la stigmatisation de la propriété. 

Au Québec, le 21 novembre 2013, la Cour supérieure a déterminé que le vendeur d’un immeuble a l’obligation d’informer les acheteurs qu’une mort violente s’y est produite.  La Cour supérieure a déclaré dans son jugement que le vendeur aurait dû informer les acheteurs du double suicide puisque cet élément « est susceptible d’influencer une transaction immobilière » et « doit être divulgué pour que le consentement du cocontractant soit libre et informé ».[1] Par conséquent, le tribunal a déclaré la vente nulle et sans effet, tout en accordant des dommages-intérêts aux acheteurs. 

En Ontario, à l’instar de nombreuses transactions commerciales, le transfert de propriété d’un bien repose sur une doctrine de common law suivant laquelle « l’acheteur doit être vigilant » (« caveat emptor »). En vertu de la doctrine du caveat emptor, les acheteurs ont la responsabilité ultime de s’assurer que la propriété qu’ils acquièrent convient à leurs besoins. L’acheteur doit être diligent en menant ses propres enquêtes et en effectuant ses propres inspections avant l’achat afin de s’assurer du titre et de la qualité du bien foncier acheté. 

En vertu de la Loi de 2002 sur la prescription des actions (Ontario), un acheteur ne peut généralement déposer une réclamation pour vice que dans les deux ans suivant la date d’achat. En effet, la loi ontarienne établit un « délai de prescription de base » de deux ans, applicable à la plupart des réclamations qui y sont visées. Ce délai commence à la date à laquelle une réclamation prend naissance ou au premier jour auquel un demandeur découvre raisonnablement les faits donnant lieu à la réclamation.[2] 

Cependant, la loi distingue deux types de défauts : 

  • Un défaut de « vice apparent » : est un défaut qui peut être découvert par observation ou par inspection en utilisant des pratiques normales généralement reconnues dans l’industrie. Autrement dit, on n’a pas besoin d’un expert ou d’un ingénieur en construction pour les découvrir. 
  • Apparent ou actualisé et ne peut être découvert par les pratiques d’inspection normalisées. 

  

Un vendeur n’a aucune obligation de divulguer un vice apparent, telle qu’une fissure imbibée d’eau clairement visible dans un mur de fondation. Il doit cependant divulguer un vice caché.[3] Un vice caché est non apparent pour l’acheteur lors d’une inspection raisonnable ou d’une inspection professionnelle. Parmi les exemples de défauts cachés à divulguer, citons un problème de fondation, un appartement en sous-sol illégal, un problème d’eau grave dans un sous-sol ou un toit abîmé qui n’a pas été réparé. 

Étant donné que les vices cachés ne sont pas observables visuellement lors d’une inspection ordinaire, un vendeur peut ne pas être au courant de leur existence. Donc, il ne peut pas être tenu responsable d’un vice caché inconnu ou d’un défaut apparu après la clôture d’une transaction. Toutefois, si le vendeur a connaissance d’un vice caché, il doit en faire part à l’acheteur. Cette obligation du vendeur est confirmée dans la décision Crone v. Kilmer en ces termes: 

« L’acheteur doit pouvoir prouver que le vendeur avait connaissance d’un vice caché. S’il est prouvé que le défaut existait avant la vente de la propriété, mais que le vendeur ne le savait pas (peut-être que le défaut ne s’est pas présenté pendant que le vendeur était propriétaire de la propriété), le vendeur ne peut être tenu pour responsable. »[4] 

Les tribunaux ont reconnu quatre exceptions à la règle du caveat emptor : 

  1. lorsque le vendeur fait une déclaration frauduleuse ou cache le défaut;
  2. lorsque le vendeur a connaissance d’un vice caché rendant la maison impropre à l’habitation; 
  3. lorsque le vendeur est imprudent quant à la véracité ou à la fausseté des déclarations relatives à l’aptitude de la maison à l’habitation; et 
  4. lorsque le vendeur a manqué à son obligation de divulguer un vice caché qui rend les locaux dangereux. 

  

De plus, la doctrine du caveat emptor ne s’applique pas lorsqu’une fausse déclaration matérielle a été faite par le vendeur et si, n’eût été la fausse déclaration, l’acheteur n’aurait pas conclu le contrat. Cependant cette règle s’applique même dans les circonstances où un objet a été vendu tel quel, comme cela a été décidé dans Mautner v. Metcalf,[5] 2008 CanLII 3969. 

En Ontario, un acheteur a deux ans, à compter du jour où un vice caché a été découvert, pour intenter une poursuite contre le vendeur. Cette période de deux ans commence le jour où l’acheteur a eu connaissance pour la première fois du défaut ou le jour où une personne raisonnable ayant les capacités et les circonstances de l’acheteur aurait eu connaissance du vice. Un acheteur perd toutefois tous les recours légaux si l’acheteur entame un procès pour un défaut après le 15e anniversaire du jour où le vendeur aurait dû divulguer le défaut à l’acheteur, indépendamment de la date à laquelle l’acheteur a découvert le vice. 

Bien qu’il existe des exceptions à la règle Caveat Emptor il n’est pas toujours évident de savoir exactement quand ces exceptions peuvent s’appliquer. La question relativement à ce qui correspond à un vice caché a fait l’objet de débats juridiques rigoureux. Par exemple, un pédophile condamné, vivant dans la rue, équivaut-il à un défaut rendant la propriété impropre à l’habitation ? Que signifie une assertion négligente et inexacte ? La fausse déclaration doit-elle être préjudiciable à l’acheteur en ce sens que des dommages ont été causés ou est-il suffisant qu’une déclaration, une assertion négligente et inexacte, ait été faite ? 

Dans le « Stigmatizing Issues » daté du 3 février 2015, l’instance de réglementation de l’industrie, le Real Estate Council of Ontario (RECO), fournit des conseils sur le sujet. « Dans le contexte de l’immobilier », déclare RECO dans le bulletin du registraire sur les questions de stigmatisation, une stigmatisation est un attribut non physique et intangible d’une propriété qui peut susciter une réaction psychologique ou émotionnelle de la part d’un acheteur potentiel. » 

Le bulletin RECO précise que, contrairement à un défaut latent ou de vice caché, « il n’y a rien de physiquement observable ou mesurable associé à un stigmate. » Le courtage commercial et immobilier[6]  ne définit pas la stigmatisation. Cependant, le bulletin RECO offre des exemples de stigmates qui peuvent affecter les décisions d’achat de certains acheteurs : 

  • la propriété a été utilisée pour perpétrer un crime (p. ex. trafic de drogue, atelier de baguage, maison close); 
  • un meurtre ou un suicide s’y est produit; 
  • la propriété appartenait auparavant à un individu notoire (p. ex., chef du crime organisé, meurtrier connu); 
  • il y a des rapports démontrant que la propriété est hantée; 
  • elle a abrité une ancienne exploitation de culture qui a été assainie, selon l’autorité locale de la santé ou de la construction. 

  

Les stigmates diffèrent d’une personne à l’autre, en effet ce qu’une personne juge totalement inacceptable pourrait ne pas intéresser une autre personne. 

Certes, les vendeurs sont tenus par la loi de divulguer les vices cachés matériels affectant une propriété qu’ils connaissent, mais il n’y a pas de législation ou de jurisprudence en Ontario qui suggère qu’un vendeur, ou son représentant, est tenu de divulguer l’existence de stigmates aux acheteurs. 

En Ontario, il n’y a aucune obligation légale de divulguer aux acheteurs potentiels un décès, un meurtre ou un suicide qui a eu lieu dans une maison. Au Québec et dans certains États aux E.-U., il existe des lois exigeant la divulgation des décès aux acheteurs potentiels. L’Ontario devrait-elle avoir des lois rendant obligatoire la divulgation d’événements entraînant des stigmates ? Si oui, devrait-il y avoir une limite de temps pour la divulgation ? 

 

À NOTER : Cet article de blogue était originalement publié sur le site de Juriblogue.ca.  

Veuillez prendre note de la date de rédaction de cet article de blogue. Il est possible que certaines informations ne soient plus à jour. 

  

 

[1] Fortin c. Mercier (1) 2013 CanLII 5890 (QC CS). 

[2] The Bank of Nova Scotia v. Williamson. Court file no.: 07-CV-335817PD1 (S.C.J.) [Williamson]. 

[3] McGrath v. MacLean, 1979 CanLII 1691 

[4] Crone v. Kilmer, 2013 CanLII 55833 

[5] Mautner v. Metcalf, 2008 CanLII 3969. 

[6] Loi de 2002 sur le), L.O. 2002, chap. 30, annexe C.