Isolement administratif : quel recours choisir pour vos clients et clientes ?

Isolement administratif : quel recours choisir pour vos clients et clientes ?

Lorsqu’une personne est condamnée à être emprisonnée, elle est détenue dans une prison administrée par le gouvernement provincial ou dans un pénitencier administré par le gouvernement fédéral (Loi constitutionnelle de 1867, arts 92(6) et 91(28)).

L’isolement administratif est pratiqué couramment dans les établissements carcéraux fédéraux et provinciaux. Par exemple, au cours d’une seule année, dans les pénitenciers fédéraux :

  • Près de 2 personnes détenues sur 5 sont placées en isolement ;
  • Un quart de ces personnes sont isolées pendant 30 jours ou plus ;
  • Plus de la moitié des personnes détenues et isolées sont des Autochtones.

En cas d’isolement physique et social, les conditions de détention peuvent être très difficiles (L’isolement en Ontario, Dre Rachelle Larocque). Votre client ou cliente passe la quasi-totalité de ses journées dans une cellule à part. De même, l’établissement carcéral peut limiter ses communications, ses sorties à l’air libre ainsi que l’accès à des programmes offerts aux détenus et détenues.

Afin de vous guider, voici une liste de recours que vous pouvez entreprendre lorsque vous jugez qu’une action en justice est requise.

 

1. RECOURS EN CONTRÔLE JUDICIAIRE

Une loi habilitante permet à un établissement carcéral d’isoler une personne et de choisir les conditions de détention. La loi applicable dépend du gouvernement responsable de l’établissement. Par exemple, la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition s’applique aux centres de détention fédéraux.

Vous pouvez contester la décision administrative de l’établissement en présentant une demande en contrôle judiciaire. Cependant, ce recours peut être inefficace pour l’obtention de certaines mesures de réparation. D’ailleurs, la Cour suprême reconnait la difficulté qu’affrontent les détenus et détenues à entreprendre ce recours:

Sauf quelques exceptions notables, les détenus ne sont pas riches. Seuls quelques-uns d’entre eux peuvent se permettre d’engager au départ une procédure de contrôle judiciaire pour contester la validité d’un ordre d’isolement une fois l’isolement terminé, alors que l’annulation de l’ordre ne présente plus aucun intérêt pratique (Canada (Procureur général) c McArthur, 2010 CSC 63, para 11 [McArthur].)

Ne vous inquiétez pas, il existe plusieurs autres recours à la disposition de vos clients et clientes, notamment les mesures de réparations prévues par la Charte canadienne des droits et des libertés (« Charte »).

 

2. RECOURS EN VERTU DE LA CHARTE

Les conditions d’isolement peuvent être inhumaines et également violer les droits fondamentaux des personnes détenues. D’ailleurs, depuis 2015, les Nations Unies considèrent certaines formes d’isolement comme de la torture (Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus (Règles Nelson Mandela), Résolution 70/175, 17 décembre 2015, arts 43 à 45).

Lorsque les conditions d’isolement portent atteinte à un droit protégé par la Charte, vous disposez de plusieurs recours devant une cour supérieure provinciale. Néanmoins, rappelez-vous qu’une violation à la Charte peut être tolérée dans certaines circonstances (art 1).

 

a) Déclaration d’invalidité

Vous pouvez demander de déclarer invalide une disposition législative lorsqu’elle donne le pouvoir à un établissement d’isoler un individu dans des conditions contraires à la Charte (art 52).

D’ailleurs, en 2019, deux cours provinciales ont invalidé des dispositions de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (voir Canadian Civil Liberties Association v Canada, 2019 ONCA 243, para 130; British Columbia Civil Liberties Association v Canada, 2019 BCCA 228, para 276).

Par conséquent, le gouvernement fédéral a modifié cette loi avant que la Cour suprême n’ait pu se pencher sur la question. En effet, en adoptant le Projet de loi C-83 il remplace « l’isolement préventif » par « les unités d’intervention structurée ». Ceci entraîna la fin des recours entrepris par la Canadian Civil Liberties Association et la British Columbia Civil Liberties Association.

 

b) Bref d’habeas corpus

La perte de liberté résultante de l’incarcération est importante, mais elle n’est que partielle. Toute personne détenue conserve une liberté résiduelle protégée par la Charte.

Lorsque la liberté résiduelle est restreinte par les conditions d’isolement, vous pouvez demander un bref d’habeas corpus avec certiorari auxiliaire pour mettre fin à l’isolement (Charte, arts 10(c) et 24(1)). Les principes applicables se trouvent dans la trilogie des arrêts Miller, Cardinal et Morin en 1985. Ces principes ont été confirmés récemment dans Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24.

En général, lorsque ce dernier prend fin avant l’aboutissement de la procédure, l’habeas corpus n’a plus de raison d’être. Parfois, un tribunal peut analyser la légalité de la détention, même lorsque le litige est devenu théorique (exemple : Wilcox v Alberta, 2020 ABCA 104, para 8.)

Veuillez noter qu’il s’agit d’un recours en droit civil et il ne doit pas être confondu avec un habeas corpus en droit criminel (exemples de conséquences : Ross v Riverbend Institution, 2008 SKCA 19, para 31; Snooks c Procureur général du Canada, 2020 QCCA 586, paras 30 à 32.)

 

c) Demande de dommages-intérêts

La Charte vous permet de demander toute réparation juste et convenable (art 24(1)) même lorsque l’isolement a pris fin. Vous pouvez demander des dommages-intérêts à titre de réparation (McArthur, para 17) et ce, même à l’intérieur d’un recours collectif (exemples : Brazeau v Canada (Attorney General), 2020 ONCA 184, para 101 [Brazeau]; Francis v Ontario, 2021 ONCA 197, para 93 [Francis].)

 

3. AUTRES RECOURS

Même lorsque l’isolement respecte les droits protégés par la Charte, votre client ou cliente peut exercer d’autres recours comme :

  • Une action en responsabilité délictuelle pour réclamer des dommages-intérêts (McArthur). En 2020, dans Brazeau, la Cour d’appel de l’Ontario refuse un recours collectif pour négligence. Néanmoins, en 2021, Francis, la même cour permet le recours pour négligence en distinguant les deux affaires.
  • Un recours en matière des droits de la personne en vertu d’une loi autre que la Charte. En effet, il existe pour chaque province et territoire une loi sur les droits de la personne, en plus de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Par exemple, les interventions de la Commission ontarienne des droits de la personne ont protégé les détenus ayant des troubles mentaux en Ontario. En revanche, des procédures judiciaires sont toujours en cours.

 

4. CHOISIR LE BON RECOURS

Prenez le temps d’expliquer à vos clients et clientes les différentes options qui s’offrent à eux ainsi que leurs conséquences. Explorez les recours appropriés selon votre preuve et vos objectifs, tels qu’améliorer les conditions d’isolement ou mettre fin à l’isolement, ou obtenir une compensation financière.

Enfin, au moment de conseiller vos clients et clientes, rappelez-vous que chaque cas est unique. La légalité des conditions de détention dépend de la situation de vos clients et clientes et des pratiques de l’établissement carcéral.

 

AUTRES REMARQUES

Astuces pour les recherches : Vous pouvez utiliser dans vos recherches les termes : « isolement préventif », « isolement administratif », « unité d’intervention structurée », « isolement cellulaire », « structured intervention units », « administrative segregation » et « solitary confinement ».

Détails sur les statistiques des pénitenciers fédéraux : 

  • Parmi les 14 149 personnes en détention dans les pénitenciers fédéraux (Tableau C1), 5 421 ont été placées en isolement (Tableau C18), soit 38,3%.
  • 74,7% des placements en isolement ont duré moins de 30 jours (Figure C18) alors que 25,3% ont duré 30 jours ou plus.
  • Parmi les 5 521 détenus placés en isolement (Tableau C18), 2 086 étaient autochtones (Tableau C18), soit 38,3%.

 

ATTENTION : Les points de vue exprimés dans cet article appartiennent seulement à l’auteure. Ils ne reflètent pas nécessairement ceux de toute organisation à laquelle l’auteure peut être associée actuellement, par le passé ou dans le futur.