La reconnaissance des droits des peuples autochtones dans le Renvoi sur la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre

La reconnaissance des droits des peuples autochtones dans le Renvoi sur la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre

La Cour suprême du Canada (CSC) a entendu les 22 et 23 septembre derniers[1] les pourvois des décisions des cours d’appel de la Saskatchewan, de l’Ontario et de l’Alberta portant sur la constitutionnalité de la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre (« Loi »).

 

La Loi a été adoptée en juin 2018 pour lutter contre le changement climatique. Le

 gouvernement fédéral a établi, par l’entremise de cette loi, une norme minimale pour la tarification du carbone[2]. Les cours d’appel de la Saskatchewan[3] et de l’Ontario[4] ont jugé que la Loi était constitutionnelle, alors que la Cour d’appel de l’Alberta a déclaré que la Loi ne relevait pas de la compétence du Parlement. Les juges de la CSC auront donc l’occasion de finalement fournir des principes directeurs en matière de la protection de l’environnement et des droits des peuples autochtones. Le renvoi aura sans aucun doute des effets majeurs sur la question du partage des compétences législatives et sur l’importance que le droit accorde aux effets des changements climatiques. 

  

Il s’agit d’un dossier constitutionnel en matière de division des pouvoirs : une bataille entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux pour savoir quel palier de gouvernement a la compétence de légiférer en matière de tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre (GES). Les provinces prennent la position qu’elles sont les mieux placées pour prendre des décisions qui relèvent de leur compétence privée et locale[5]. Or, le procureur général du Canada affirme que l’environnement est un sujet qui relève de la compétence du Parlement en vertu de son autorité de légiférer sur toute matière non visée par les domaines attribués aux provinces, soit le pouvoir résiduel de faire des lois pour la paix, l’ordre et bon gouvernement du Canada[6]. Bien que les cours d’appel de l’Ontario et de la Saskatchewan aient accordé au Parlement la compétence d’établir une norme nationale, les juges ont omis de donner leur avis sur des principes des droits des peuples autochtones[7]. 

  

Nous remarquons que les cours d’appel ont omis de considérer comme suffisamment importants les droits et les intérêts des peuples autochtones lorsqu’elles ont rendu leurs décisions. Cette omission laisse des traces indélébiles sur les peuples autochtones et freine l’évolution de la réconciliation[8] à laquelle notre pays s’est engagé. Le Renvoi sur la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre (Renvoi) donne à la CSC l’opportunité de reconnaître les droits et les intérêts des peuples autochtones et la protection de la nature[9] comme étant des pierres angulaires de la constitution canadienne. 

  

Dans l’affaire Lalonde, la Cour d’appel de l’Ontario a reconnu le principe constitutionnel du respect des minorités comme un élément fondamental de la structure de la Constitution canadienne. D’ailleurs, selon la CSC, le respect des minorités ne se limite pas aux droits linguistiques, et précise que : « les rédacteurs de la Loi constitutionnelle de 1982 ont ajouté à l’art. 35 des garanties expresses relatives aux droits existants ‑‑ ancestraux ou issus de traités ‑‑ des autochtones, et à l’art. 25 une clause de non‑atteinte aux droits des peuples autochtones »[10]. Ainsi, la portée du principe de la « protection des minorités » doit inclure les droits des peuples autochtones. Les principes non écrits ne sont pas simplement descriptifs ; ils sont composés d’une force normative puissante[11] et lient à la fois les tribunaux et les gouvernements. 

  

La Constitution, les lois et la jurisprudence reflètent l’idée de ce qui est « bon » pour la société canadienne. Cependant, la jurisprudence est souvent fondée sur la prémisse selon laquelle le bien-être humain n’est pas directement lié à l’ensemble du bien-être de la planète Terre. L’idée que la Terre est une ressource infinie pour notre usage est utopique. La CSC a l’opportunité de clarifier, par l’entremise d’un renvoi, les priorités et les valeurs canadiennes : la viabilité de l’environnement et la protection des peuples autochtones. La connaissance occidentale détermine la compréhension collective de la société canadienne. Souvent les acteurs en pouvoir sont ceux qui guident cette compréhension[12], mais encore, ils sont susceptibles de négliger l’histoire ou pire encore, contribuer au racisme envers les peuples autochtones. Dans les mots de l’ancienne juge en chef Beverley McLachlin : 

  

« [l’] objectif de Sir John A. Macdonald était de retirer l’Indien de l’enfant. D’après lui, l’indianité ne devait pas être tolérée; il faut plutôt l’éliminer. Nous utilisons souvent le mot assimilation pour définir ce dernier. Cependant, le langage exact du XXIe siècle se résume en : génocide culturel »[13]. 

  

Alors, dans la décision à venir sur la constitutionnalité de la Loi, la CSC est appelée à utiliser son mécanisme de renvoipour rectifier l’histoire du génocide culturel subi par les peuples autochtones. Les projets conçus pour maintenir la domination du colonialisme doivent être abandonnés[14], pour faire place à la perspective harmonieuse défendue par les peuples autochtones; c’est la seule voie viable pour faire épanouir l’arbre constitutionnel canadien vers son plein essor. 

À NOTER : Cet article de blogue était originalement publié sur le site de Juriblogue.ca.  

Veuillez prendre note de la date de rédaction de cet article de blogue. Il est possible que certaines informations ne soient plus à jour. 


[1] Voir les dossiers no 36663, 38781 et 39116 sur le site web de la Cour suprême du Canada. 

[2] Voir Reference re Greenhouse Gas Pollution Pricing Act, 2019 2019 ABCA 349 [Alberta]. 

[3] Voir Reference re Greenhouse Gas Pollution Pricing Act, 2019 SKCA 40 [Saskatchewan]. 

[4] Voir Reference re Greenhouse Gas Pollution Pricing Act, 2019 ONCA 544 [Ontario]. 

[5] Loi constitutionnelle de 1867 (R-U), 30 & 31 Vict, c 3, art 92, reproduit dans LRC 1985, annexe II, no5 [Loi constitutionnelle 1867]. 

[6] Loi constitutionnelle 1867, ibid à l’art 91. 

[7] Saskatchewan, supra note 1 (sur les 477 paras du jugement, seulement 2 paras touchent sur les droits des peuples autochtones). Voir aussi Ontario, supra note 2 (sur les 241 paras seulement 3 paras touchent sur les droits des peuples des autochtones). 

[8] Voir généralement Canada, le budget de 2019, Faire avancer la réconciliation avec les peoples autochtones, en ligne : < https://www.budget.gc.ca/2019/docs/nrc/indigenous-autochtones-fr.pdf> (le gouvernement fédéral confirme son engagement envers les peuples autochtones). 

[9] Voir généralement Gouvernement du Canada, Conservation et protection de l’environnement, Patrimoine naturel Canada : protéger notre nature, en ligne : < https://www.budget.gc.ca/2019/docs/nrc/indigenous-autochtones-fr.pdf> (« la biodiversité du Canada est une pierre angulaire de notre mode de vie »). 

[10] Ibid au para 82. 

[11] Ibid au para 54. 

[12] Voir Haluza-DeLay et al, “Introduction” dans Agyeman et al, Speaking Together : Environmental Justice in Canada, Vancouver, UBC Press, 2010. 

[13]Voir John Lehmann, « Chief Justice says Canada attempted ‘cultural genocide’ on aboriginals », The Globe and Mail (28 mai 2015), en ligne: <https://www.theglobeandmail.com/news/national/chief-justice-says-canada-attempted-cultural-genocide-on-aboriginals/article24688854/> 

[14] Voir Conférence des Nations Unies sur l’Environnement, Déclaration sur l’environnement, Stockholm, 5-6 juin 1972, aux principes 1 et 15.