Réconciliation autochtone : Vérité ou façade ?

Réconciliation autochtone : Vérité ou façade ?

Au moment d’écrire ces lignes, l’auteure aimerait rendre hommage à la Nation algonquine Anishinaabe, présente en ces lieux depuis des temps immémoriaux. Elle reconnait que cette nation est la gardienne et défenseuse traditionnelle de ce territoire, entretenant avec celui-ci des liens sacrés. Elle reconnait la grande richesse de leurs savoirs, dont la pleine reconnaissance tarde à voir le jour. Elle reconnait aussi que la colonisation, le racisme et le suprémacisme blanc ont eu et continuent d’entraîner des conséquences néfastes sur les communautés autochtones. Elle vous invite à prendre un moment pour songer au territoire où vous vous trouvez ainsi qu’au peuple qui en est gardien.  

 

 

Les manifestations en soutien au peuple Wet’suwet’en ont fait la manchette  à l’hiver 2020. Effectivement, un grand nombre de personnes ont été choqués de l’injonction enjoignant la fin des blocages en opposition au projet de pipeline Coastal GasLink, dont le tracé traverse le territoire de la Première Nation Wet’suwet’en, en Colombie-Britannique.  

L’encadré blanc représente le territoire Wet’suwet’en. Le pipeline Coastal GasLink est représenté par la ligne rouge, sur une carte de fond de la Colombie-Britannique.  

 

Rappelons que la Première Nation, dans les décennies menant à 1997, a fait preuve d’une persévérance juridique exceptionnelle qui a mené la Cour Suprême du Canada à se prononcer notamment sur les critères de reconnaissance et la portée du titre aborigène/ancestral (ci-après « titre ancestral ») dans la décision Delgamuukw c Colombie-Britannique ([1997] 3 RCS 1010). Ce n’est, néanmoins, qu’en mai 2020, qu’un protocole d’entente concernant la mise en œuvre de leur propre titre et les droits ancestraux en découlant a été signé par les gouvernements fédéraux et de la Colombie-Britannique.  Une mise en œuvre qui tarde à venir, car des négociations subséquentes sont, encore, à prévoir 

Considérant l’impact du projet de pipeline sur les revendications territoriales et de la ferme opposition des chefs héréditaires Wet’suwet’en, que doit-on penser des efforts de réconciliation du gouvernement canadien et des provinces et territoires?  

 

Titre ancestral 

En ce qui concerne la gestion de l’exploitation des ressources naturelles, même la reconnaissance d’un titre ancestral n’empêche pas automatiquement un gouvernement d’y porter atteinte unilatéralement. Cela dit, celle-ci devra être diligemment justifiée selon les deux critères établis dans l’arrêt Delgamuukw, précité :  

  1. L’atteinte au droit ancestral visé se rapporte à la poursuite d’un objectif législatif impérieux et réel (l’exploitation importante de ressources naturelles remplira généralement ce volet); 
  2. L’atteinte est compatible avec les rapports spéciaux de fiduciaire qui existent entre la Couronne et les peuples autochtones. 

La démonstration que l’atteinte à un titre ancestral reconnu est justifiée serait donc loin d’être gagnée d’avance pour le gouvernement. Cela explique sans doute les différents mécanismes alternatifs mis en place à la fois au niveau de la cogestion des ressources naturelles et de la reconnaissance de droits ancestraux. Effectivement, ces mécanismes alternatifs permettent aux autorités étatiques de se négocier une plus grande part de gouvernance et, considérant les difficultés financières d’accès à la justice, permettent aux communautés autochtones d’accéder à certaines avancées.  

À titre d’information, bien que la notion de titre ancestral soit reconnue depuis plus de 50 ans (Calder et al. c Procureur Général de la Colombie-Britannique, [1973] RCS 313), une seule revendication juridique a réussi à ce jour (voir Tsilhqot’in Nation c British Columbia, 2014 CSC 44)[1]  

Compte tenu de ce qui précède, plusieurs mécanismes de cogestion sont aujourd’hui en place. En voici deux exemples. Le premier représente la norme, ce que l’on retrouve habituellement dans le paysage canadien actuel, tandis que le deuxième s’approche davantage d’un modèle réellement plurijuridique.  

 

Premier exemple : L’Agence Parcs Canada 

Parcs Canada est responsable de la gestion de plusieurs espaces protégés qui empiètent sur des territoires autochtones, l’agence a l’obligation de les intégrer d’une quelconque manière dans le processus décisionnel. Puisque chaque revendication de territoire est différente et que tous les parcs ont un cadre législatif et opérationnel unique dépendant notamment de leur localisation (provinces, territoires, etc.) et de leur nature (espace marin vs terrestre, etc.), l’implication réelle des communautés autochtones locales varie grandement. Dans certains parcs, on prévoit l’intégration sur un plan d’égalité des savoirs traditionnels (parc national Auyuittuq, au Nunavut) dans un comité de gestion dite participative. Dans d’autres, la relation se limite à la consultation et au recueil de données (parc national Aulavik, Territoires du Nord-Ouest)[2]. Cela dit, il n’en reste pas moins que « […] le modèle idéal de « gestion collaborative », qui place les partenaires sur un pied d’égalité, dépend du bon vouloir du ministre ou de Parcs Canada »[3].  

 

Deuxième exemple : Le Gouvernement national Tsilhqot’in  

Ensuite, une comparaison s’impose avec la relation de la Colombie-Britannique et le nouveau Gouvernement national Tsilhqot’in à la suite de la reconnaissance juridique de leur titre ancestral par la Cour Suprême du Canada, en 2014. Avec le Nenqay Deni Accord: The People’s Accord (2016) signé par la Nation Tsilhqot’in et le gouvernement de la Colombie-Britannique, nous avons accès à un exemple de naissance d’une relation partenaire concernant les futurs économiques, politiques et sociaux du territoire et, indirectement, de la province. Cet accord prévoit qu’un cadre de gestion sera mis en place en considérant que la nation est propriétaire du territoire et des ressources qu’il contient, en plus des droits de gestion associés. La province s’engage également à travailler avec la Nation afin de documenter et mettre de l’avant les valeurs, les objectifs et la vision des Tsilhqot’in concernant la gestion du territoire.  

 

En résumé, l’amalgame de l’incertitude générale, du choix nécessairement conscient du gouvernement fédéral de ne pas clarifier les implications pertinentes et la constatation des pratiques actuelles perpétuent un climat de sociabilité variant entre la violence et la réconciliation[4]. Certes, nous avons l’exception hors norme des Tsilhqot’in qui inspire le niveau ultime de convivialité. Somme toute, l’évolution de la reconnaissance des droits autochtones est en plein essor et la Déclaration des Nations Unies sur les Droits des peuples autochtones, mis en œuvre par le Canada, prend de plus en plus de place dans les discussions politiques.  

 

Conclusion 

 Après la saga des blocages de voies ferrées, qui continue d’ailleurs aujourd’hui via l’hypercriminalisation du territoire Wet’suwet’en, voici maintenant qu’une prise deux fait surface pour le gouvernement fédéral. En effet, le projet national de pipeline de Trans Mountain vient tout juste de faire une demande d’autorisation pour une modification du tracé et de la méthode de construction (abandon du projet de tunnel sous-terrain sur cette portion). Cela dit, les modifications demandées menacent de causer des dommages irréparables aux droits culturels et spirituels de la nation autochtone Stk’emlúpsemc te Secwépemc, qui s’y oppose évidemment. Une attention particulière à porter aux prochaines actions du gouvernement fédéral dans cette situation aux airs de déjà vues 

Pour mieux comprendre les différents concepts mentionnés dans cet article, n’hésitez pas à consulter ce schéma juridique et le document de références associé.   

 

 

[1] La très récente décision The Nuchatlaht v British Columbia2023 BCSC 804, sans reconnaitre de titre sur le territoire réclamé, est optimiste quant à l’existence éventuelle d’un titre sur certaines parties de celui-ci.  

[2] Martin Thibault, « La place des Autochtones dans la gouvernance des parcs de l’Arctique canadien, de la cogestion à la « cojuridiction »» Nouvelles pratiques sociales (2014) 27:1 aux pp 86-89,  https://doi.org/10.7202/1033620  

[3] Ibid, à la p 94.

[4] Voir Boaventura de Sousa Santos, « Toward a New Legal Common Sense », Butterworths Lexis Nexis (2002) à la p 479; tel que cité dans Burelli, T., Chicoine-Wilson, C., & Courtemanche, O. « Repenser la gestion des ressources naturelles avec les sociétés traditionnelles. Leçons des expériences de cogestion canadiennes », Repenser La Propriété, Un Essai De Politique Écologique (2015) Dir Sarah Vanuxem Et Caroline Guibet Lafaye.