R v Morris, 2021 ONCA 680 est un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario en droit criminel.

 

 

FAITS

Une personne affirmant être victime d’un cambriolage contacte la police et décrit les voleurs comme étant quatre hommes noirs. Peu de temps après, des agents en civil interceptent quatre hommes noirs qui marchent dans un stationnement à proximité. L’un d’eux, Kevin Morris, s’enfuit. Un agent qui conduit un véhicule banalisé traverse rapidement le stationnement pour tenter de lui couper la route. Le véhicule heurte M. Morris et roule sur son pied gauche, lui causant ainsi une blessure. Il se relève et part en courant, poursuivi par des policiers en uniforme. Ils le plaquent au sol et le mettent en état d’arrestation.

 

Remarquant qu’il ne porte plus sa veste, un agent part à sa recherche et la trouve. Dans la veste, il y a une arme à feu de calibre 38 et elle est chargée. Aucune preuve ne permet d’inculper M. Morris, ou l’un de ses trois compagnons, pour vol. Toutefois, M. Morris est accusé et déclaré coupable par un jury de quatre accusations liées à la possession de l’arme (articles 90, 91, 92 et 95 du Code criminel).

 

Dans le cadre de la détermination de la peine, deux rapports sont soumis. Le premier explique, entre autres, comment la discrimination systémique marginalise la population noire canadienne dans des communautés qui sont caractérisées par la pauvreté, des opportunités économiques et d’emploi réduites, et une présence policière forte et agressive. Selon le rapport, les réalités sociales qui ont contribué à un comportement délinquant peuvent être considérées par le tribunal.

 

Le second rapport analyse l’incidence du racisme anti-Noirs sur les expériences personnelles de M. Morris. Ce rapport soutient que la gravité de l’infraction et le degré de culpabilité morale sont diminués. Le juge refuse de tenir un voir-dire et admet ce rapport. Il note qu’il est similaire à l’Évaluation de l’incidence de l’origine ethnique et culturelle (EIOEC) admise par les tribunaux de la Nouvelle-Écosse (R v Anderson, 2021 NSCA 62).

 

Morris est condamné à une peine d’emprisonnement de 15 mois, suivie d’une probation de 18 mois. Toutefois, considérant les déductions en raison de la violation de la Charte par les policiers et de la période de détention préventive, cela correspond à une journée d’emprisonnement, suivie de la probation.

 

Selon la Couronne, le juge de première instance a commis des erreurs dans ses motifs, en particulier dans son traitement de l’incidence du racisme anti-Noirs. Elle soutient que la peine est manifestement inadéquate et ne reflète pas la gravité des infractions. Une peine appropriée serait de trois ans.

 

 

QUESTIONS EN LITIGE

  1. Quelle est la pertinence du racisme anti-Noirs dans le processus de détermination de la peine ?
  2. Le rapport concernant l’incidence du racisme anti-Noirs sur les expériences personnelles de Kevin Morris est-il recevable ?
  3. Quelle est la peine appropriée ?

 

RATIO DECIDENDI

Les éléments du contexte social relatifs aux expériences de vie de la personne, comme le racisme anti-Noirs, peuvent être utilisés pour évaluer le degré de culpabilité morale et la combinaison des principes et des objectifs de la détermination de la peine. Toutefois, l’expérience de la personne en matière de racisme anti-Noirs n’a pas d’incidence sur la gravité de l’infraction.

 

 

ANALYSE

1. La pertinence des preuves de racisme anti-Noirs sur la détermination de la peine

Le ou la juge de première instance doit imposer une peine juste, adaptée à chaque personne et à l’infraction spécifique, conformément aux principes énoncés dans la partie XXIII du Code criminel et aux objectifs prévus à l’article 718.

 

1.1. Harmonisation des peines

Le principe d’harmonisation des peines (art 718.2(b), Code criminel) requiert que la peine soit semblable aux peines attribuées pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables. Par contre, les peines inférieures à la fourchette établie ne sont pas nécessairement inadéquates (R c Friesen, 2020 CSC 9, au para 38 et R c Suter, 2018 CSC 34, au para 4).

 

Ainsi, le bien-fondé de la peine imposée à M. Morris ne dépend pas de la comparaison de celles imposées dans d’autres affaires en lien avec une arme à feu. Son bien-fondé dépend de la question de savoir si le juge a commis une erreur en estimant que la preuve relative au contexte social diminuait la gravité de l’infraction et atténuait la culpabilité morale de M. Morris.

 

1.2. Modération

Selon le principe de modération (art 718.2(d) et (e)), l’emprisonnement est la peine de dernier recours. Il faut envisager toutes les alternatives moins contraignantes avant de l’imposer. Bien que la méthode prévue dans R c Gladue, [1999] 1 RCS 688 et R c Ipeelee, 2012 CSC 13 pour les personnes autochtones ne s’applique pas aux personnes noires, cette jurisprudence peut, à certains égards, éclairer la détermination de la peine.

 

Notamment, en examinant le principe de modération, les tribunaux devraient garder à l’esprit l’incarcération excessive bien établie des personnes noires, en particulier des jeunes hommes. Comme pour les autochtones, la discrimination subie et ses effets sur leurs antécédents, leur caractère et leur situation peuvent jouer un rôle dans la détermination de la culpabilité morale de la personne. Ces facteurs doivent également être considérés dans la combinaison des divers objectifs de la détermination de la peine, afin de parvenir à une peine appropriée dans les circonstances.

 

Généralement, les crimes impliquant des armes chargées requièrent une peine d’emprisonnement, considérant leur gravité. Toutefois, cela ne met pas fin au principe de modération. Par exemple, si une peine d’emprisonnement de moins de deux ans est envisagée, le tribunal doit examiner si la peine peut être purgée dans la collectivité dans le cadre d’une condamnation avec sursis. Selon la Cour d’appel, les peines d’emprisonnement avec sursis, si elles sont correctement utilisées, ont le potentiel d’améliorer le problème de l’incarcération excessive des jeunes hommes noirs.

 

1.3. Proportionnalité

La proportionnalité est le principe fondamental et primordial de la détermination de la peine. Une peine qui ne respecte pas ce principe est une peine inadéquate. Afin de bien l’appliquer, il faut distinguer les facteurs liés à la gravité de l’infraction, et ceux liés au degré de culpabilité morale.

 

  • Gravité de l’infraction: De façon générale, plus l’infraction est grave, plus il est nécessaire de dénoncer le comportement et de dissuader sa perpétration. La preuve des expériences de vie d’une personne, telles que les conséquences sociales découlant du racisme systémique anti-Noirs, ne diminue pas la gravité de l’infraction. Même en démontrant que la possession d’une arme peut s’expliquer par de tels facteurs, la possession d’une arme chargée et dissimulée n’est pas moins grave ou dangereuse pour le public. Réduire la gravité de l’infraction pour tenir compte du contexte social produit une peine qui ne respecte pas le principe de proportionnalité.

Cependant, sans diminuer la gravité du crime, le contexte social et les antécédents de la personne permettent de réconcilier les objectifs parfois contradictoires de la détermination de la peine. Par exemple, le contexte social pourrait servir de base pour accorder plus de poids à l’objectif de réadaptation et moins de poids à l’objectif de dissuasion, afin que la peine soit mieux adaptée à la personne et à son potentiel de réadaptation.

 

  • Degré de culpabilité morale: La jurisprudence établit que l’on peut tenir compte des antécédents et des expériences de vie de la personne lorsque sa culpabilité morale à l’égard d’un crime est évaluée, et lors de la détermination de la peine.

La preuve du racisme anti-Noirs et de son incidence sur les circonstances et les choix de vie de la personne n’est pas seulement admissible, elle est, dans de nombreux cas, essentielle. La personne n’a pas à démontrer un lien de causalité entre le racisme anti-Noirs et l’infraction pour que le racisme soit considéré comme une circonstance atténuante. Toutefois, il doit y avoir un lien entre le racisme manifeste et systémique identifié dans sa communauté et les circonstances ou événements qui sont censés expliquer sa conduite criminelle.

 

En l’espèce, les craintes de M. Morris à l’égard de sa communauté, y compris la police, expliquent sa possession d’une arme à feu chargée. Ses craintes étaient justifiées et résultaient, en partie, du racisme systémique qui a joué un rôle dans sa perception de sa communauté, de ses relations avec les autres membres de sa communauté, et de ses relations avec la police.

Cependant, il ne s’agit que d’une circonstance atténuante. Les raisons pour lesquelles M. Morris a choisi de s’armer n’enlèvent rien à la gravité du crime qu’il a commis. Sa possession de l’arme et sa conduite ont fait courir un risque à la société et aux policiers.

 

 

2. Admissibilité du rapport concernant l’incidence du racisme anti-Noirs

Bien que ce type de rapport ne soit pas couramment utilisé en Ontario, la Cour est d’accord avec la décision Anderson, de la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse, qui reconnaît que ces rapports peuvent être d’une grande utilité. Les informations concernant les antécédents, la personnalité et le contexte social de la personne, ou celles qui aident à expliquer pourquoi elle a commis l’infraction sont pertinentes pour la détermination de la peine et potentiellement admissibles.

 

 

3. La peine appropriée

La gravité des crimes commis par M. Morris exige une peine d’emprisonnement importante. La possession d’une arme chargée et dissimulée dans un lieu public, sa fuite et sa tentative de cacher l’arme sont des facteurs aggravants.

Quant à la culpabilité morale de M. Morris, elle est atténuée par ses problèmes de santé mentale et physique, ainsi que par ses désavantages éducatifs et économiques. Tous ces facteurs sont influencés par le racisme systémique anti-Noirs dont il a été victime.

En tenant compte des facteurs aggravants et atténuants, y compris la faute commise par l’État lors de la détention et l’arrestation de M. Morris, la Cour d’appel de l’Ontario conclut que le juge de première instance aurait pu imposer une peine plus sévère.

 

 

DISPOSITIF

Le pourvoi est accueilli en partie. La peine est modifiée et devient une peine d’emprisonnement de deux ans moins deux jours, suivie de la probation imposée par le juge de première instance. Toutefois, considérant le temps qui s’est écoulé et les événements subséquents, l’incarcération serait inappropriée. La peine d’emprisonnement est donc suspendue.

 


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