Résumé d’une décision de la Cour suprême du Canada en droit criminel sur la question des points de départ et des fourchettes de peine.

 

FAITS

Dans le cadre de procès distincts, M. Parranto et M. Félix ont reconnu leur culpabilité à diverses infractions découlant d’activités de trafic de drogue, dont le trafic commercial du fentanyl à grande échelle. Le juge de première instance a condamné M. Parranto à une peine globale de 11 ans, et M. Félix s’est vu infliger une peine globale de 7 ans d’emprisonnement. La Couronne a interjeté appel des peines.

 

La Cour d’appel de l’Alberta a fixé à 9 ans le point de départ pour le trafic de fentanyl à grande échelle (R v Felix, 2019 ABCA 458, au para 2). Elle a augmenté la peine globale de M. Parranto à 14 ans, et celle de M. Félix à 10 ans.

 

Les deux hommes se sont adressés à la Cour suprême du Canada invoquant que la Cour d’appel a commis une erreur en intervenant pour substituer sa propre appréciation à celle du juge de première instance. Selon eux, cette erreur découle de l’application de la méthode des points de départ. Exprimant plusieurs critiques et préoccupations à l’égard de cette méthode, ils demandent à la Cour suprême de l’abolir. Ils soutiennent que les fourchettes de peines constituent un meilleur moyen d’appréciation.

 

 

QUESTION EN LITIGE

Les cours d’appel peuvent-elles fixer des points de départ pour aider les tribunaux inférieurs à décider des peines appropriées?

 

 

RATIO DECIDENDI

Les cours d’appel ont le pouvoir discrétionnaire de choisir la forme de lignes directrices qu’elles trouvent la plus utile. Toutefois, ni les points de départ ni les fourchettes de peines ne sont contraignants.

 

 

ANALYSE

Lorsqu’elles sont saisies de l’appel d’une peine, les cours d’appel provinciales ont un double rôle. Premièrement, elles doivent s’assurer de la justesse de la peine et sont habilitées à modifier celle-ci. Deuxièmement, elles doivent veiller au développement stable du droit, tout en énonçant à l’intention des juridictions inférieures des lignes directrices propres à en assurer une application homogène à l’intérieur d’un même territoire (R c Lacasse, 2015 CSC 64, au para 37).

 

Les cours d’appel peuvent choisir la forme des lignes directrices qui aideront les juges à déterminer les peines à infliger, et peuvent s’inspirer des décisions antérieures. Toutefois, il n’est pas nécessaire qu’un portrait historique des peines se développe pour que les cours d’appel donnent des indications au sujet de la gravité d’une infraction. Elles peuvent également établir une nouvelle orientation afin d’harmoniser le droit avec la conception que se fait la société de la gravité de certaines infractions (R c Stone, [1999] 2 R.C.S. 290, au para 239). Tant que ces lignes directrices sont conformes aux principes et aux objectifs de la détermination de la peine énoncés dans le Code criminel, la Cour suprême du Canada devrait respecter les choix des cours d’appel provinciales. Il ne serait pas souhaitable qu’elle oblige les cours d’appel à s’en tenir à l’une ou l’autre forme d’orientation.

 

Par contre, un écart par rapport à un point de départ, une fourchette de peines, ou l’une des catégories de cette fourchette, ne devrait pas être considérée comme une erreur de principe (Lacasse, aux paras 51 et 53; R c Friesen, 2020 CSC 9, au para 162). Les cours d’appel doivent se demander si la peine était juste et si le juge a bien appliqué les principes de détermination de la peine. Par ailleurs, dans l’arrêt Friesen la Cour suprême du Canada avait déjà établi certains principes essentiels à cet effet :

 

  1. Les points de départ et les fourchettes de peines ne sont pas et ne peuvent pas être contraignants en théorie ou en pratique (Friesen, au para 36);
  2. Les fourchettes de peines et les points de départ sont « des lignes directrices, et non des règles absolues » (Friesen, au para 37);
  3. Les juges chargés de déterminer la peine jouissent du pouvoir discrétionnaire d’adapter la peine « tant au chapitre de la méthode que de celui du résultat » (Friesen, au para 38); et
  4. Les cours d’appel « ne peuvent […] intervenir du simple fait que la peine diffère de celle qui aurait été fixée si l’on avait utilisé la fourchette de peines ou le point de départ » (Friesen, au para 37).

Ainsi, une cour d’appel ne peut intervenir que si le juge de première instance a infligé une peine manifestement non indiquée ou s’il a commis une erreur de principe ayant une incidence sur sa détermination (Lacasse, aux paras 11 et 67). En l’espèce, la Cour d’appel de l’Alberta est intervenue de bon droit. En effet, les peines infligées en première instance étaient manifestement non indiquées puisque le juge n’avait pas bien saisi la gravité de l’infraction. L’Alberta affiche l’un des taux les plus élevés de décès et de surdoses liés aux opioïdes par rapport aux autres provinces et territoires. La Cour d’appel pouvait donc tenir compte de cette crise de santé publique, entre autres, et créer un point de départ de 9 ans pour le trafic commercial du fentanyl à grande échelle.

 

 

DISPOSITIF

Les deux pourvois sont rejetés et les ordonnances de la Cour d’appel de l’Alberta sont confirmées.

 

Pour un résumé de la décision Friesen, cliquez ici.