2022
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B.J.T. c J.D., 2022 CSC 24 (Résumé)
Résumé d’un arrêt de la Cour suprême du Canada en droit de la famille et protection de l’enfance.
FAITS
L’arrêt B.J.T. c J.D porte sur la garde de W.D., né en octobre 2013. Avant sa naissance, ses parents biologiques habitaient en Alberta. Son père étant violent physiquement, sa mère le quitte, sans l’informer qu’elle est enceinte, et déménage à l’Île-du-Prince-Édouard. Sa mère a d’importants problèmes de santé mentale et a de la difficulté à s’occuper de W.D. Alors qu’il a environ trois mois, sa grand-mère quitte l’Alberta pour habiter à l’Î.-P.-É. avec eux. Elle les soutient financièrement et s’occupe de lui au quotidien, sauf pour de courtes périodes.
En mai 2018, la garde temporaire de W.D. est accordée à la Directrice des Services de protection de l’enfance de l’Île-du-Prince-Édouard (ci-après « Directrice ») pour trois mois. La Directrice convient ensuite avec la grand-mère qu’elle devienne parent d’accueil de W.D. En février 2019, la Directrice informe le père de W.D. qu’il a un fils. Il désire maintenant obtenir sa garde permanente. La Directrice modifie sa demande pour soutenir celle du père. S’en suit alors un long processus décisionnel :
- Le 20 juin 2019, la grand-mère dépose une requête pour obtenir une ordonnance la désignant parent au sens de l’alinéa 1(s) de la Child Protection Act. La Directrice s’y oppose. Le juge reconnaît son statut juridique de parent, parce qu’elle a agi in loco parentis. L’ordonnance prend effet le 2 juillet 2019.
- Le 24 juin 2019, la Directrice permet au père des visites quotidiennes pendant deux semaines. Durant cette période, les visites qui initialement étaient surveillées deviennent non surveillées pour la nuit.
- Le 3 juillet 2019, la Directrice met fin à l’arrangement selon lequel la grand-mère agit comme parent d’accueil de W.D. Il est alors placé dans une famille d’accueil qu’il ne connaît pas.
- Le 8 août 2019, la Directrice envoie W.D. pour une visite de trois semaines chez son père, en Alberta. La Directrice décide finalement que ce sera d’une durée indéterminée. Seulement trois jours de visites surveillées sont autorisés à la grand-mère, deux semaines avant l’audience relative à la garde.
- En février 2020, à l’audience relative à la garde, qui se déroule à l’Î.-P.-É, la juge conclut qu’il est dans l’intérêt supérieur de l’enfant d’être confié à sa grand-mère. En appel, les juges majoritaires infirment la décision et accordent la garde au père. Selon eux (1) la juge a pris en considération un facteur non pertinent, la conduite de la Directrice, et (2) n’a pas examiné l’argument du père selon lequel sa demande de garde devrait être favorisée en tant que parent naturel.
QUESTIONS EN LITIGE
1. À quel moment un tribunal d’appel peut‑il intervenir pour déterminer ce qui est dans l’intérêt supérieur de l’enfant — c’est‑à‑dire quelle est la norme de contrôle applicable aux décisions rendues au terme d’une audience en vertu d’une loi relative à la protection de l’enfance ?
2. La juge qui a présidé l’audience a‑t‑elle commis une erreur dans sa décision de ce qui était dans l’intérêt supérieur de l’enfant en l’espèce ?
3. Quel est le poids à accorder au facteur du parent naturel ou biologique quand il s’agit de déterminer ce qui est dans l’intérêt supérieur de l’enfant dans une affaire de protection de l’enfance ? (au para 50)
RATIO DECIDENDI
Les décisions en matière de garde d’enfant et d’accès sont intrinsèquement discrétionnaires. Cela commande une grande déférence. En l’absence d’une erreur importante, une erreur significative dans l’interprétation de la preuve ou une erreur de droit, un tribunal d’appel n’est pas autorisé à refaire l’analyse d’une juridiction inférieure concernant l’intérêt de l’enfant.
Les parents biologiques n’ont pas un droit à la garde de leur enfant. L’intérêt supérieur de l’enfant constitue la considération primordiale. Les liens biologiques auront généralement un poids limité dans l’évaluation de l’intérêt supérieur de l’enfant.
ANALYSE
1. La norme de contrôle applicable à la détermination de ce qui est dans l’intérêt supérieur de l’enfant
La détermination de l’intérêt supérieur de l’enfant se caractérise par l’examen de circonstances propres à chaque enfant. Les tribunaux appliquent une norme juridique multifactorielle. À l’Î.-P.-É, les critères pertinents sont énoncés au paragraphe 2(2) de la Child Protection Act. Dans cette Loi, comme dans d’autres, aucune priorité n’est donnée à un facteur par rapport à un autre. Le poids et la pertinence des facteurs sont une question qui relève du pouvoir discrétionnaire du tribunal saisi.
Un tribunal d’appel ne peut intervenir que dans le cas où il y a eu une « une erreur importante, une erreur significative dans l’interprétation de la preuve ou une erreur de droit » (Van de Perre c Edwards, 2001 CSC 60, para 11). Une grande déférence est ainsi accordée aux ordonnances en matière de garde. Par conséquent, un tribunal d’appel ne peut pas refaire l’analyse d’une juridiction inférieure afin d’obtenir un résultat qu’il croit préférable dans l’intérêt supérieur de l’enfant.
2. La juge qui a présidé l’audience n’a pas fait d’erreur dans sa décision
Il y a une obligation de surveillance judiciaire à l’égard des enfants qui sont confiés aux soins de l’État. Dans le cadre d’une analyse relative à l’intérêt supérieur de l’enfant, les juges peuvent examiner les actions d’une agence de protection de l’enfance. Ils peuvent se demander comment les décisions de cette agence sont susceptibles d’avoir des répercussions. Puisque la Directrice a dirigé tous les aspects de la vie de W.D., prendre en considération sa conduite a permis à la juge de mieux comprendre ce qui s’était passé.
La juge pouvait aussi convenir du poids à accorder à une preuve, dont l’opinion d’une experte. De plus, comme expliqué ci-après, elle a adopté l’approche adéquate à l’égard du lien biologique du père avec l’enfant. Ainsi, en statuant qu’il est dans l’intérêt supérieur de W.D. d’être confié à la garde de sa grand-mère, elle n’a pas fait d’erreur dans sa décision.
3. Les liens biologiques ont généralement un poids limité dans l’évaluation de l’intérêt supérieur de l’enfant
Dans les lois canadiennes, il y a un abandon progressif des liens biologiques comme facteur pertinent dans l’évaluation de l’intérêt supérieur de l’enfant. Par exemple, au paragraphe 2(2) de la Child Protection Act, aucun des facteurs énumérés n’a expressément trait aux liens biologiques d’un parent. La décision d’une législature d’omettre la biologie dans la liste des facteurs pertinents témoigne d’une décision d’en minimiser l’importance.
Les tribunaux jouissent d’un pouvoir discrétionnaire pour identifier et soupeser les facteurs qui sont pertinents. Un tribunal peut donc prendre en considération un lien biologique, s’il peut établir le rapport avec l’intérêt supérieur de l’enfant. Cela étant, le lien biologique en soi devrait généralement avoir un poids minime, pour les raisons suivantes :
a) Accorder trop d’importance aux liens biologiques pourrait amener certains décisionnaires à faire prévaloir les demandes du parent sur l’intérêt supérieur de l’enfant.
b) L’attachement de l’enfant est une considération qui devrait l’emporter sur le lien biologique.
c) L’avantage d’un lien biologique en lui-même est intangible et difficile à formuler. Il est difficile de le faire primer sur d’autres facteurs plus concrets. De plus, les enfants sont de plus en plus élevés dans des familles où les liens biologiques ne définissent pas leurs relations familiales.
Ainsi, le lien biologique d’un parent n’est qu’un élément parmi tant d’autres qui peut être considéré. Lorsqu’il y a deux personnes à qui la garde de l’enfant peut être accordée, les juges ne sont pas obligés de considérer la biologie comme un élément décisif.
DISPOSITIF
Le pourvoi est accueilli. La décision de la Cour d’appel de l’Île-du-Prince-Édouard est annulée. La garde et la tutelle permanentes sont accordées à la grand-mère de W.D.
Pour approfondir vos connaissances, consultez cet article de blogue: Les différents types de modèles de famille reconnus par le droit en Ontario.