Dans l’arrêt R c G.F., la Cour suprême du Canada précise le lien entre le consentement à une activité sexuelle et la capacité à consentir dans une affaire d’agression sexuelle. L’absence de consentement est un des éléments que la Couronne doit prouver pour établir l’actus reus de l’agression sexuelle.

 

 

FAITS  

G.F. et R.B. ont été accusés d’avoir agressé sexuellement la plaignante, âgée de 16 ans, lors d’une fin de semaine de camping. La plaignante a déclaré avoir consommé beaucoup d’alcool en soirée, jusqu’à en perdre connaissance. Lorsqu’elle a repris connaissance, les intimés se livraient sur elle à des attouchements sexuels. Elle a déclaré avoir demandé aux intimés d’arrêter à plusieurs reprises avant de se laisser faire parce qu’elle n’avait plus aucun contrôle. Le témoignage de G.F. présentait une version différente des faits en affirmant que la plaignante n’était pas dans un état d’ébriété aussi avancé qu’elle le prétendait et qu’il a, à plusieurs reprises, demandé et eu le consentement à l’activité sexuelle par la plaignante. R.B. n’a pas témoigné.  

 

En première instance, le juge de procès a accepté le témoignage de la plaignante. Il a conclu qu’elle n’avait pas consenti à l’activité sexuelle, car elle était incapable de consentir à cause de son état d’ébriété et a déclaré les intimés coupables d’agression sexuelle.   

 

Les intimés ont interjeté appel à la Cour d’appel de l’Ontario. Celle-ci a ordonné un nouveau procès, car les motifs du juge de procès étaient insuffisants. La Cour d’appel a estimé que le juge de procès avait commis une erreur de droit en n’examinant pas la question du consentement en premier lieu et séparément de la question de la capacité selon l’analyse à deux étapes énoncée dans l’arrêt R c Hutchinson, 2014 CSC 19 

 

 

QUESTION EN LITIGE  

Le juge de procès a-t-il commis une erreur en n’examinant pas la question du consentement en premier lieu et séparément de la question de la capacité à consentir? 

 

 

RATIO DECIDENDI  

La capacité à consentir et le consentement sont inextricablement liés. La capacité est une condition préalable au consentement subjectif. Ce dernier exige que la plaignante formule en son for intérieur un accord volontaire à l’activité sexuelle, elle doit donc être capable de former un tel accord. Pour établir la capacité à consentir à une activité sexuelle, on doit prouver que la plaignante était lucide et qu’elle comprenait l’acte physique, sa nature sexuelle, l’identité de son ou de ses partenaires et qu’elle avait le choix de se livrer ou non à l’activité sexuelle. En prouvant l’absence d’un de ses facteurs, hors de tout doute raisonnable, la Couronne aura établi l’incapacité de la plaignante à consentir à l’activité sexuelle et également l’absence d’un accord volontaire à l’activité sexuelle.  

 

 

ANALYSE   

L’absence de consentement à l’activité sexuelle est le troisième élément que la Couronne doit établir pour constituer l’actus reus de l’agression sexuelle (R c Ewanchuk, [1999] 1 RCS 330, au para 25 [Ewanchuk]; R c Chase, [1987] 2 RCS 293). Le paragraphe 273.1(1) du Code criminel définit le consentement comme consistant en l’accord volontaire du (de la) plaignant(e) à l’activité sexuelle. Il est donc subjectif, car il est évalué par rapport à l’état d’esprit dans lequel se trouvait la plaignante en son for intérieur lors de l’activité sexuelle (Ewanchuk, aux paras 26-27). Il existe deux aspects au concept du consentement : le consentement subjectif et la validité en droit du consentement subjectif. Le consentement subjectif est l’ensemble de conclusions factuelles indiquant si la plaignante a subjectivement et volontairement donné son accord à l’activité sexuelle. La plaignante doit donc consentir à l’acte, sa nature sexuelle et à l’identité précise de son ou de ses partenaires (R c Barton, 2019 CSC 33, au para 88 [Barton]). Lorsque le consentement subjectif est établi, la Couronne doit alors, et seulement à ce moment, analyser la validité en droit de celui-ci. Pour cela, les paragraphes 265(3) et 273.1(2) du Code criminel énoncent plusieurs facteurs, tels que l’emploi de la force, qui vicieront le consentement subjectif, le rendant nul et sans effet. Toutefois, l’incapacité à consentir ne fait pas partie de ces facteurs.  

  

En effet, l’incapacité ne rend pas nul et sans effet le consentement, mais elle empêche la formulation du consentement subjectif. Le consentement subjectif exige que la plaignante formule en son for intérieur un accord volontaire à l’activité sexuelle (R c J.A., 2011 CSC 28, aux paras 31, 36 et 45; Barton, au para 88). Elle doit donc être capable de former un tel accord. En l’espèce, l’état d’ébriété avancé de la plaignante la rendait incapable de former un accord volontaire à l’activité sexuelle.  

  

L’incapacité est donc une condition préalable au consentement subjectif et non une question qui se pose uniquement lorsque le consentement a été établi. La capacité à consentir est liée à l’exigence du consentement subjectif qu’est l’accord volontaire à l’activité sexuelle. Ainsi, s’assurer que la plaignante est capable de formuler un tel accord et comprend chaque élément de l’activité sexuelle assure la certitude en droit criminel. Inversement, l’incapacité en tant que facteur viciant mènerait à devoir déterminer le moment où l’accord volontaire et effectif de la plaignante est devenu nul à cause du processus décisionnel affaibli de celle-ci. Cela causerait beaucoup d’incertitude.  

  

La capacité est liée au consentement. Par conséquent, la capacité empêche le respect d’une condition relative au consentement subjectif. La Cour suprême a donc conclu que pour établir la capacité à consentir à une activité sexuelle, la plaignante doit être lucide et comprendre les 4 facteurs suivants :  

    1. L’acte physique  
    2. Sa nature sexuelle  
    3. L’identité précise de son ou de ses partenaires  
    4. Qu’elle a le choix de se livrer ou non à l’activité sexuelle  

Si la Couronne prouve l’absence d’un de ces facteurs hors de tout doute raisonnable, l’incapacité à consentir sera prouvée et par conséquent, l’absence de consentement sera également établie. L’examen de la validité du consentement en droit ne sera donc pas nécessaire.   

  

Ainsi, le juge de procès n’a pas erré en fusionnant le consentement et la capacité à consentir. Il lui a été présenté une preuve d’incapacité à consentir par le fait que la plaignante avait bu beaucoup d’alcool et que l’activité sexuelle a commencé alors qu’elle était inconsciente. Il lui aussi été présenté une preuve de refus de consentement lorsque la plaignante a déclaré avoir résisté et demandé aux intimés d’arrêter. Lorsque ces derniers ont ignoré sa demande, la plaignante, étant dans un état d’ébriété et croyant qu’elle n’avait pas le choix, a fini par accepter. Le juge de procès pouvait accepter les deux preuves simultanément et sans ordre particulier.   

  

La juge Côté, en dissidence, a jugé que la preuve n’était pas assez accablante pour conclure à la culpabilité des intimés et pour appliquer la disposition réparatrice en vertu du sous-alinéa 686(1)b)(iii) du Code criminel. Cette disposition donne à une cour d’appel le pouvoir de rejeter l’appel formé contre les déclarations de culpabilité des intimés. Selon la juge Côté, le cadre à adopter, énoncé dans l’arrêt R c Hutchinson ne faisait que reprendre l’analyse à deux étapes requise par le Code criminel aux paragraphes 273.1(1), 273.1(2) et 265(3). En ne suivant pas cette démarche, le juge de procès a commis une erreur de droit. L’acceptation du témoignage de la plaignante sans analyse ne suffit pas pour fonder une déclaration de culpabilité. La juge Côté a donc rejeté le pourvoi et confirmé l’ordonnance de la Cour d’appel.  

 

 

DISPOSITIF  

Le pourvoi a été accueilli. La Cour suprême du Canada a annulé l’ordonnance de la Cour d’appel et a rétabli les déclarations de culpabilité des intimés.  

  

 

Consultez aussi ce résumé d’une décision de la Cour suprême du Canada en droit criminel sur l’omission de porter un condom lorsque le consentement était conditionnel à l’utilisation de celui-ci : R c Kirkpatrick, 2022 CSC 33 (résumé).