R c Desautel est un jugement de la Cour suprême du Canada en droit constitutionnel et en droit autochtone.

 

FAITS 

En octobre 2010, M. Desautel, un membre de la Lakes Tribe, un peuple autochtone établi dans l’État de Washington et groupe successeur du peuple Sinixt, a abattu un wapiti femelle sur le territoire de la Colombie-Britannique. À noter que jusqu’en 1930, les membres de la Lakes Tribe ont continué à chasser en Colombie-Britannique. Malgré une période d’inactivité causée par la création d’une frontière internationale et une interdiction pour eux de chasser en Colombie-Britannique, la Lakes Tribe a maintenu un lien avec le territoire de chasse situé en Colombie-Britannique de leurs ancêtres.

 

Desautel a été accusé de deux violations des dispositions de la Wildlife Act de la Colombie-Britannique. Premièrement, il a été accusé d’avoir chassé sans permis, ce qui contrevient au paragraphe 11(1) de la Wildlife Act. Deuxièmement, il a été accusé d’avoir chassé le gros gibier sans être résident du Canada, ce qui contrevient à l’alinéa 47 a) de la Wildlife Act.

 

Ce dernier, malgré son admission de l’actus reus des infractions, s’est défendu en invoquant son droit ancestral protégé par le paragraphe 35(1) de la  Loi constitutionnelle de 1982 de chasser sur le territoire traditionnel de ses ancêtres Sinixt.

QUESTION EN LITIGE 

Un peuple autochtone se trouvant à l’extérieur du Canada peut-il faire valoir des droits ancestraux en vertu de la Constitution canadienne ? Si oui, la loi provinciale sur la faune est-elle inopérante en raison du droit ancestral prévu au paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 ?

 

RATIO DECIDENDI 

 La majorité de la Cour a conclu que des personnes qui ne sont pas des citoyens et qui ne résident pas au Canada peuvent exercer un droit ancestral protégé par le paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle 1982 qui a pour objectif fondamental de reconnaître l’occupation antérieure du Canada par des sociétés autochtones organisées et autonomes. L’expression « peuples autochtones du Canada » comporte des successeurs contemporains de sociétés autochtones qui occupaient le territoire canadien au moment du contact avec les Européens. Conséquemment, l’expression « peuples autochtones du Canada » inclut des groupes autochtones qui se trouvent aujourd’hui à l’extérieur du Canada.

ANALYSE  

Pour faire valoir un droit protégé par le paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, il faut répondre à la question préliminaire à savoir si un peuple autochtone fait partie des « peuples autochtones du Canada ». L’analyse de la Cour sur cette question se base sur les deux objectifs qui sous-tendent le paragraphe 35(1), soit la reconnaissance de l’occupation antérieure du Canada par des sociétés organisées et autonomes ainsi que la conciliation de leur existence contemporaine avec l’affirmation de la souveraineté de la Couronne.

 

Conséquemment, la portée de l’expression « peuples autochtones du Canada » inclut les successeurs contemporains des sociétés autochtones qui occupaient le territoire canadien à l’époque du contact avec les Européens. Il est donc possible pour des groupes dont les membres ne sont ni citoyens ni résidents du Canada d’être reconnus comme peuples autochtones du Canada. Une telle interprétation de l’expression « peuples autochtones du Canada » qui englobe les peuples qui se sont déplacés, qui ont été forcés de se déplacer ou qui ont subi l’imposition de frontières internationales est en accord avec l’objectif de réconciliation entre la Couronne et les peuples autochtones.

 

Pour répondre à la question préliminaire à savoir si la Lakes Tribe est un peuple autochtone du Canada, la Cour affirme et reconnaît que la Lakes Tribe est un successeur contemporain des Sinixt, un peuple autochtone ayant occupé, au moment du contact avec les Européens, un territoire dans ce qui est aujourd’hui la Colombie-Britannique. Le fait que la Lakes Tribe se soit déplacée vers une autre partie de son territoire traditionnel se retrouvant à l’extérieur des frontières canadiennes ne lui fait pas perdre son statut de successeur des Sinixt. La portée de l’expression « peuples autochtones du Canada » doit comprendre les successeurs contemporains des sociétés autochtones qui occupaient le territoire canadien à l’époque du contact avec les Européens. Ainsi, la Lakes Tribe est un peuple autochtone du Canada.

 

Pour faire valoir un droit ancestral, ce dernier doit satisfaire aux critères établis dans l’arrêt Van der Peet qui sont aussi basés sur les objectifs reconnus du paragraphe 35(1).

 

Le test de l’arrêt Van der Peet se déroule en trois étapes. Les tribunaux doivent :

  1. déterminer, à partir de la preuve et des actes de procédure, la nature exacte du droit ancestral revendiqué ;
  2. déterminer si le demandeur a établi l’existence de la pratique, tradition ou coutume précontact en question et si cette pratique, tradition ou coutume faisait partie intégrante de la culture distinctive de la société avant son contact avec les Européens ;
  3. déterminer si le droit contemporain revendiqué est lié de façon manifeste à la pratique précontact et si ce droit peut être raisonnablement considéré comme le prolongement de cette pratique.

La Cour conclut que la chasse à des fins alimentaires, sociales et rituelles sur le territoire traditionnel des Sinixt en Colombie-Britannique au moment du contact avec les Européens faisait partie intégrante de la culture distinctive des Sinixt. La pratique contemporaine de la chasse sur le territoire, telle que l’a fait M. Desautel, s’inscrit dans la continuité de la pratique historique des Sinixt. La continuité de la culture antérieure au contact avec les Européens est donc une preuve que la pratique est partie intégrante de la culture du peuple autochtone avant le contact. Mise à part des périodes lors desquelles il n’y a pas eu de chasse traditionnelle sur le territoire, la différence entre la pratique pré contact et la pratique contemporaine est peu significative. Par conséquent, M. Desautel exerçait un droit ancestral protégé par le paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982.

 

DISPOSITIF 

Le pourvoi est rejeté, la question constitutionnelle cherchant à déterminer si un peuple autochtone à l’extérieur du Canada peut faire valoir des droits ancestraux en vertu de la Constitution canadienne a reçu une réponse affirmative. Le paragraphe 11(1) et l’alinéa 47 a) de la Wildlife Act sont inopérants à l’égard de la pratique du droit ancestral de M. Desautel.

 

Voici un autre résumé d’une décision de la Cour suprême en droit autochtone : Terre-Neuve-et-Labrador (Procureur général) c Uashaunnuat (Innus de Uashat et de Mani-Utenam), 2020 CSC 4 (Résumé)